Epître à Momus
Épître à Momus
Dieu protecteur de la fine satire,
Toi qui médis de tout ce qui respire,
Gentil Momus, rêvant sur cet écrit,
Le sel piquant de ton malin esprit
Donne à mes vers cette délicatesse…
Mais quoi, rêvai-je ? à Momus je m’adresse
Pour dénigrer ses plus chers serviteurs,
Par là, j’entends la Bulle et ses auteurs.
Non, je n’invoque aujourd’hui que la Bulle.
Je trouve en elle un fond de ridicule
Qui me tient lieu de verve et d’Apollon.
Rome en ce jour sois mon sacré vallon.
Et toi, lecteur, lisant ces vers, pardonne
Tous leurs défauts. Comme on n’ose à personne
Se confier, il ne m’est pas facile
De les polir, dans le tour, dans le style.
Sur tels écrits faut garder le secret.
Et comment seul faire un œuvre parfait ?
De plus, Phébus qui suit le rigorisme,
Sert à regret l’ami du jansénisme.
Les beaux esprits, vrais enfants des plaisirs,
N’ont pour rimer qu’à suivre leurs désirs.
Gais à la table, amoureux à Cythère,
Ils ont toujours la plus riche matière
À s’exercer. Les vers n’ont été faits
Que pour le vin, Cupidon et ses traits.
Pour moi, qui n’ai qu’un esprit vrai, mais triste,
Je versifie en style janséniste.
J’ai la raison, la vérité pour moi.
Mes vers auront quelques lecteurs, je crois.
Il me suffit que ces vers soient passables ;
L’air négligé plaît aux gens raisonnables.
Chacun voit bien que je n’ai point tenté
Par tels écrits à l’immortalité.
Il faut laisser ces brillantes chimères
À nos héros, aux Rousseaux, aux Voltaires.
Pour eux, Phébus tient ses trésors ouverts.
Mais laissons là ces auteurs et leurs vers,
En barbotant dans l’onde aganipide,
Muse, finis cette épître insipide ;
Car aussi bien tes propos discordants,
Soit dit tout net, n’ont pas trop de bon sens.
Si tu n’as pas l’esprit d’être agréable
En discourant, sois du moins raisonnable.
F.Fr.25570, p.761-62 - Nouv.Acq.Fr. 4773, f°4 - Chambre des députés, MS 1423, f°197v - Lyon BM, Palais des Arts, MS 51/2, f°148r - Choregraphus ou la Réjouissance infernale (1754), p.37-38 (imprimé)