Brevet d’exclusion du Régiment de la Calotte contre M. l’abbé Pucelle
Brevet pour M. L’abbé Pucelle, portant son exclusion du Régiment
De par le Dieu de la Marotte,
Nous, son fidèle substitut
Dans les États de la Calotte,
Voulant par un nouveau statut
Confondre de fiers adversaires ;
Les plus grands coups sont nécessaires,
Voici le temps de les frapper :
Le sort parfois peut nous tromper
Lors même qu’il nous favorise.
Car qui ne voit avec surprise
Que, de tous ces hommes proscrits
Pour dogmes que l’on autorise,
Le Ciel entende encore les cris
Et qu’il en forme son Église.
Après avoir brisé ses fers,
Dans Utrecht elle est parvenue ;
Déjà sa tête est dans la nue,
Et ses pieds foulent les enfers ;
Car la Cour a paru si bonne
Dans un Arrêt qu’elle a dicté
Que ce squelette de Sorbonne,
Aussi sec qu’un pendu d’été
Et sur ses osselets monté,
Criant partout qu’on l’abandonne,
Accourut à l’archevêché,
Et demanda que de Narbonne
Le concile fût dépêché.
En de pareilles conjonctures,
Voulons, pour plus justes mesures,
Tous points déduits et débattus,
Sous notre autorité sacrée
De nos États fermer l’entrée
À toutes sortes de vertus ;
Qu’elles cherchent d’autres retraites,
Et que ces vierges indiscrètes,
Instruites que par nos édits
Nous défendons qu’on les recèle,
Choisissent du Ciel les lambris
Ou le cœur de l’abbé Pucelle.
Trop bien savons que par ses dits
Tantôt humbles, tantôt hardis,
Il enfonce jusques dans l’âme
Tous les traits du feu qui l’enflamme ;
Qu’il y porte une illusion
Contre qui tout doit être en garde ;
C’est aussi lui seul que regarde
Notre brevet d’exclusion ;
Voulons lui fermer tout passage
Aux biens, aux faveurs qu’en partage
Nous versons à profusion ;
Et tel est le désavantage
D’être ainsi par nous éconduit
Qu’il se verra du moins réduit
Au malheur d’être toujours sage.
Gens qui font un pareil usage
De leurs vertus, de leurs talents,
Sont pour nous esprits turbulents ;
Aussi, sans tarder davantage,
Mettons à prix ses cheveux blancs,
Lors même que, dans son caprice,
Le peuple toujours véhément,
Ainsi que flambeaux de justice
Veut les placer au firmament,
Comme on fit, je ne sais comment,
Aux beaux cheveux de Bérénice.
Il peut bien s’assurer du moins
Que nous n’emploierons pas nos soins
À les orner de nos sonnettes,
Rats, paillons et girouettes,
Les réservant pour nos prélats,
Dont les puissances satisfaites
Ne font plus autrement de cas,
Rendant juges les avocats
Des remontrances qu’ils ont faites.
Du reste, ce maître Robin
Plus entêté qu’un vieux rabbin,
Quoique respecté dans Versailles
Pour la beauté de son caquet,
Et tout aussi vif au parquet
Que Catinat à la bataille,
Fût-il digne du siècle d’or,
Il peut, s’il veut, de ses mains pures
S’embellir, mais non des guipures
Qui viennent de notre trésor.
Qu’il prenne la main de justice,
La balance et l’épée encore,
Vrais attributs de son office.
Thémis qu’il reçut en son sein
Un jour de trouble et de tocsin,
Lui doit du moins ce sacrifice.
Que sur les fleurs de lis assis,
Dans ses rapports toujours précis,
Sa candeur soit à toute épreuve
Et qu’en lui l’équité, sa sœur,
De l’orphelin et de la veuve
En fasse un hardi défenseur ;
Que pour tous deux il entre en lice,
Mais qu’il laisse en paix la police ;
Qu’il apprenne qu’en ses avis
Jadis esclave, aujourd’hui reine,
Elle prononce en souveraine
Et sur les plans les mieux suivis
Forme des sièges dans Paris.
Dans le feu dont il étincelle,
Que ce Monsieur l’Abbé Pucelle
Songe au moins de quelle façon
Par le terrible d’Argenson
La gloire en fut jadis accrue
Quand sur les débris révérés
D’autels et d'ossements sacrés
Il faisait passer la charrue.
S’il continue en ses excès
Nous le tiendrons en exercice ;
Bientôt à ses maîtres-valets,
Fiers substituts de la police,
Substituerons esprits follets,
Invisible et leste milice ;
Son zèle alors peut s’exhaler ;
Mais qu’il sache, quoiqu’il ordonne,
Que, sans voir devant lui personne,
Il trouverait à qui parler.
Lui-même qui, du sanctuaire
Perce le plus profond mystère,
Qu’il nous le dise, sait-il bien
Ce qu’est un peuple aérien,
Et comme il est tout, et n’est rien.
Que ,soumis à nos lois suprêmes,
On s’en sert aux missions mêmes ;
Que suivant de près les desseins
Que prend la faction romaine
Nous leur donnons figure humaine ;
Les habillons en capucins,
En Cordeliers, en Piquepuces,
Et mieux encor que tout cela,
Au moins à l’égard des astuces,
En noirs enfants de Loyola :
Les premiers, gens de bas étage,
Dont le zèle est pis que la rage,
Viennent, dit-on… Chut, halte-là,
Et n’en disons pas davantage.
Mais pour se tirer d’embarras,
Vive Grifgriff de l’Emphondras.
1754, V,132-136 - F.Fr.10476, f°86-87 - F.Fr.12655, p.131-36 - F.Fr.15015, f°35r-41v -F.Fr.15146, p.134-44 - F.Fr.25570, p.585-91 - Nouv.Acq.Fr. 2485, f°160r-164r - Nouv.Acq.Fr. 4773, f°67v-71r et 87v-90v - Arsenal 2975, p.89--94 - Arsenal, 3359, p.313-18
Autre version très proche en $4252