Brevet du Sr Chefdeville, substitut de M. le procureur général
Brevet du Sieur Chefdeville,
substitut de M. le procureur général
Bien que dans notre corps joyeux
Souci, chagrin, ennui funeste
En soient bannis comme la peste,
Maints mortels mélancolieux,
Hypocondre à face morne,
Porteurs de tristesse glacée
Comme saison du Capricorne,
Parmi nous sont récompensés,
Jaçois que sous forme chagrine
Que l’on prend pour grave maintien,
Ces modestes diseurs de rien
Cachent cervelle calotine.
Le Régiment forma pour eux
La brigade des ennuyeux
Et pour donner commode gîte
À ces braves fantômes noirs
Dans cellules et manoirs
Les honorons parfois d’une place d’ermite.
À ces causes, vu le mérite,
Tristesse, ennui, glacé début
Et maint autre froid attribut
Du Sieur substitut Chefdeville,
Pétri de flegmatique chile,
Le créons par ce mandement
Père ermite du Régiment
Et pour que sa caccochynie
Se maintienne dans les lieux froids
Lui donnons cellule à son choix
D’Héraclite ou de Jérémie
Au désert de Montesimos
Où de la Manche le héros
A tant larmoyé pour sa mie
Qu’il y fonda dans ses chagrins
Un ermitage aux calotins,
Où désormais sera l’asile
Du déplorable Chefdeville,
Au détriment de l’oiseau gazouilleur
Qui le voyant mourra de peur.
Que pain de larmes et d’angoisses
Lui soit servi dans ses repas,
Que loup-garou lui apparaisse,
Corbeaux, hiboux, chouettes, chats,
Qu’on lui fasse voir la marmotte,
La lanterne magique aussi.
Que pour le tenir assoupi
Il lise les vers de La Motte,
Que le timbre de sa calotte
Soit d’un épais crêpe noir,
Qu’en son ermitage tapi
Ne puisse ledit Chefdeville
Sortir ni paraître à la ville,
Et ne lui soient donnés congés ni passeports
Qu’aux jours de la fête des morts,
En carême heures de ténèbres
Pour ouïr oraisons funèbres,
Pour épouvanter les enfants
Par la crainte des revenants.
Le Régiment de la Calotte
Pour lui dérogeant de ses us,
Lui donne au bout de sa marotte,
La tête de Diafoirus.
Installé nouveau prosélyte
Dans les états du Régiment,
Recevant humblement la capuche d’ermite,
Voulant faire son compliment
A parlé si piteusement
Que nos calotins dès l’exorde,
Se sentant assoupis, criant miséricorde,
L’ont dispensé de son sermon,
Et lui donnant brevet, notre féal Aymon
Avec le baiser de concorde
Le conjura de par Momus
De porter au désert son triste et noir fantôme
Dont le front montre aux yeux le douloureux symptôme
Du dyssentérique reflux.
F.Fr.9353, f°249v-250v - F.Fr.15015, f°51r-53r - Arsenal Archives de la Bastille, MS 10953 - Lille BM, MS 62, p.295-99
Le sujet, le style et la pique contre La Motte désignent sans ambiguïté Gacon pour auteur.