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Extrait des registres du Régiment de la calotte

Extrait des registres du Régiment de la Calotte
Momus ayant appris la perte
De la Présidente Fillon
Qui commandait en femme experte
Des vestales le bataillon
Du Régiment de la Calotte,
Convoqua d’abord le sénat
Qui de la divine Marotte
Gouverne en chef le fol état.
Lors vit-on la gent calotine
S’acheminer de toutes parts
Et Broglio qui la discipline
L’arranger sous ses étendards ;
Broglio qui, lors de la Régence,
Fut élu unanimement
Pour avoir la surintendance
Des phalanges du Régiment,
Directeur des troupes de France
Et réformé nouvellement
Pour avoir parlé librement
Contre un ministre qui s’offense
Peut-être un peu légèrement.
Lors eussiez vu en habit leste,
Fait en forme de soubreveste,
Tessé, l’avocat général,
Pérore d’un ton magistral,
Cély, chef de magistrature,
Vêtu d’une riche fourrure
Avec grelots et papillons,
Rats, girouettes et tourbillons,
Languet, notre historiographe,
Avec son À La Coque en main
Du bon sens faire l’épitaphe
À la honte du genre humain
Et nombre d’autres gens notables,
Tous personnages très capables,
Et dignes de donner leurs voix
Pour faire un légitime choix.

    Adonc, chacun ayant pris séance, on commence par l’oraison funèbre de la Dame Fillon que prononça l’évêque de Soissons dans une chaire dressée à cet effet. Ce fut là qu’étalant toute son éloquence, ce grand prélat, comme un autre apôtre des Gaules, persécuté des grands et des petits, harangua l’assemblée, et qu’après s’être étendu sur l’injustice des hommes qui tournaient en ridicule les vérités les plus saintes, il exagéra les mérites de la défunte en termes choisis et nouveaux, et qu’après avoir raconté jusqu’aux moindres circonstances de la vie de la Présidente, depuis sa plus tendre jeunesse jusqu’au moment fatal où un ulcère à la matrice lui avait fait chercher dans la retraite cette tranquillité d’esprit que les devoirs de sa profession lui avaient ôté jusqu’alors ; il parla avec éloge des talents supérieurs qu’elle avait pour instruire l’un et l’autre sexe, de son habileté pour les négociations qui concernaient son état, du désintéressement avec lequel elle servait ses amis jusqu’à leur prêter de l’argent lorsqu’ils étaient obligés d’abandonner Cythère pour aller cueillir des lauriers au Champ de Mars, du crédit qu’elle avait sur l’esprit des ministres, de l’utilité de ses maximes, de l’adresse avec laquelle elle découvrit la conspiration formée contre le Prince alors Régent, de l’usage qu’en faisait ce grand prince, tant pour le bien de l’État que pour assurer ses plaisirs, enfin des regrets qu’on devait avoir d’une si grande perte, et de la difficulté de remplacer une personne d’un mérite si généralement reconnu. Dixi, s’écria alors le saint prélat d’une voix forte et qui fut entendue de toute l’assemblée. Lors vit-on chacun former des brigues pour faire élire celle d’entre ses amies qu’il croyait la plus digne d’exercer un si grand emploi, mais les suffrages mendiés ne sont point admis dans le royaume de la Calotte, ce n’est qu’au vrai mérite que les récompenses sont données.
    Vingt sujets différents furent proposés et sans effet ; enfin le désordre se mit dans l’assemblée ; les troupes se débandèrent, malgré le soin des chefs, et Momus voyant que les États généraux ne pouvaient s’accorder, remit l’assemblée à un autre jours qu’il indiqua, après avoir donné ordre au général Aymon de faire faire au plus tôt des informations telles qu'il aviserait bon être, des vies, mœurs et talents de toutes celles qui avaient été proposées pour remplacer la Présidente.
    La présente copie, collationnée à l’original, a été délivrée par le Sieur Le Rat, greffier plumitif du Régiment, pour valoir ainsi que de raison.

 

Numéro
$4311


Année
1729




Références

F.Fr.9353, f°241v-243r - F.Fr.12655, p.211-14 - F.Fr.15016, f°99r-101v - F.Fr.25570, p.625-28 - BHVP, MS 664, f°125r-129r - Bordeaux BM, MS 700, f°392r-397v - Lille BM, MS 63, p.177-80 - Bois-Jourdain, I, 436-38


Notes

Languet de Gergy, auteur de la Vie de Marguerite Alacoque (1729), est encore dit évêque de Soissons. Il sera promu à l'évêché de Sens l'année suivante (1730)