Brevet pour le Sr Arouet de Voltaire accordé à la requête du Sr Roy
Brevet pour le Sieur Arouet de Voltaire,
accordé sur la requête du Sr Roy
Que vois-je ? quels coups redoublés
Pleuvent sur le dos de Voltaire ?
Dit le dieu des cerveaux fêlés
Qui descendait sur notre terre
Pour voir si dans ce carnaval
Il pourrait faire une recrue
Qui remplaçât tant bien que mal
Tous ceux que, par un trait fatal,
Tous les jours la parque lui tue.
Momus, sans perdre un seul moment,
Voulut que dans une assemblée,
Pour ce fait exprès convoquée,
Chacun opinât librement.
Roy fut nommé par préférence
Pour haranguer tout le premier.
De cet honneur si singulier
D’étaler sa rare éloquence
Devant si nombreuse assistance,
Lui fit remercier tout bas
Celui qui de cent coups de gaule
Régalant ses larges épaules
Par bonheur ne le tua pas.
Ma surprise est, dit-il, extrême
De me voir placé parmi vous
Pour avoir reçu quelques coups.
Messieurs, de cet honneur suprême,
Voltaire doit être jaloux.
D’une injustice si criante
J’entends fort librement parler.
Qu’après une place vacante
Il soit encore à postuler.
Vous savez que dans son jeune âge
Cherchant maître en religion
Chez la bénite nation
Il alla faire apprentissage.
Mais dès la première leçon
Riant des cris et des postures,
Des grimaces et des figures,
Des burlesques contorsions
Qu’elle fait dans ses oraisons,
Les juifs sur son dos se vengèrent
Et pleins de fureur lui donnèrent
Trente-neuf coups suivant la loi.
Le prosélyte, plein d’effroi,
Sur-le-champ quitta la Hollande,
Jurant de regarder depuis
Le culte de tous les pays
Comme cultes de contrebande,
Ce qu’il a fait voir en tous lieux.
Car quoique poltron par nature,
Comme on voit par mainte aventure,
Il est fort brave contre Dieu.
Tous les jours croissant en folie,
Il osa d’un hardi brocard
Attaquer le fier Beauregard,
Lequel, pour prix de sa manie
Et sans respecter son renom,
En présence de cent canailles
Lui donna vingt coups de bâton
Sur le grand chemin de Versailles.
Enhardi par tels traitements
À grands pas il vole à la gloire.
La fin d’une si belle histoire
Répond à ses commencements,
Et si Poisson dans sa colère
Ne lui cassa que quelques dents,
Ne l’imputez point à Voltaire.
La faute en est à l’histrion
Qui voulut laisser à la scène
Un élève de l’Hélicon
Pour faire hurler Melpomène.
Mais de tant de faits merveilleux
Aucun n’égale l’excellence
De celui qui fait qu’en ces lieux
J’ai l’honneur d’ouvrir la séance.
En paroles, c’est un géant,
Lequel dans son humeur altière
Prétend que le nom de Voltaire
Vaut mieux que le nom de Rohan.
Mais enfin il faut qu’il combatte.
Fier d’avoir montré son courroux
Il ne veut opposer aux coups
Qu’une constance spartiate.
Les sens en extase ravis,
Il pratiquait la patience
Et ne sentait que du mépris
Pour le plaisir de la vengeance.
Il est vrai qu’après le combat
Sa peau très rudement froissée
Lui fit revenir la pensée
De se venger avec éclat,
Et dans l’ardeur qui le transporte
On eût vu bien du sang versé,
Si le Suisse en homme sensé
N’eût bien vite fermé la porte.
Il mit donc l’épée à la main,
Ne respirant que le carnage
Et poussa vingt bottes en vain,
Demandant sans cesse avec rage
Quelqu’un digne de son courage.
Je conclus un si long discours,
Vous priant d’avoir soin des jours
D’un homme très digne de vivre
Pour donner à tout l’univers
Un exemple que l’on doit suivre
Quand on a la tête à l’envers.
Plaise au grand dieu porte-marotte,
Pour faire voir le cas qu’on fait
D’un si merveilleux sujet,
Lui donner quadruple calotte,
En mémoire des quatre assauts
Qu’a repoussés son grand courage,
Pour qu’il ait le rare avantage
De s’en attirer de nouveaux.
Je pourrais encore déduire
Mil vertus qu’on voit reluire
D’un si digne postulant.
Mais de ce mérite éclatant
Qu’est-il besoin de vous instruire ?
Vous savez ce qu’on doit penser
De mil plaisantes manies
Dont nous le voyons se bercer,
De ses vers, de ses maladies,
Sources fécondes de folies,
Qui parmi nous l’ont dû placer.
Daignez donc en ce jour de fête
Accorder ma juste requête
Et mettre au bas ces mots exquis :
Soit fait ainsi qu’il est requis.
Roy se tut. La gent calotine
Répondit avec de grands cris :
Voltaire est digne d’être admis
Dans notre phalange divine.
Sur quoi, sans prendre les avis,
Momus à la riante mine
Se moucha haut, toussa, cracha,
Cent fois sa calotte enfonça
Et ces mots enfin prononça :
Ouï le rapport fidèle
De l’ex-juge du Châtelet,
Voulons, ordonnons et nous plaît
Que dans notre troupe immortelle
Soit reçu le Sieur Arouet.
Et pour purger les coups de gaule
Dont il se fait souvent froisser,
Quatre fois on fera passer
Notre drapeau sur ses épaules.
Vu la grande facilité
De laver cette ignominie,
S’il lui prenait encore envie
De s’attirer quelque avanie,
Permis en toute liberté
De contenter sa fantaisie,
Pourvu qu’il observe ce point
De ne tirer jamais l’épée,
De peur qu’une telle équipée
Ne lui fît percer le pourpoint.
Item lui promettons encore,,
S’il lui vient fâcheux accident
Dans ce siècle mal endurant
De la part d’un fier matamore,
Qu’il attrape les ferrailleurs
En changeant le nom de Voltaire,
Prenant un autre nom de guerre
Pour dépayser les rieurs.
Par ce rare trait de prudence,
Il saura si bien se cacher
Que cent fois on peut l’écorcher
Sans qu’aucun en ait connaissance.
Voulons qu’admiré de la Cour,
Il regarde d’un œil tranquille
Le mépris qu’on fait à la Ville
Des ouvrages qu’il met au jour ;
Que les dames de haut parage
Considèrent comme un bonheur
D’avoir les premières l’honneur
De lui présenter un potage ;
Qu’elles prennent pour traits d’esprit
Les railleries et les blasphèmes
Que ce petit marsouin vomit
À tout propos contre Dieu même ;
Qu’il fasse parade en tout lieu
De ce grand et ferme courage
Dont sans cesse il ose en sa rage
Siffler Moïse et saint Mathieu.
Faisons très expresses défenses
Aux gens tenant nos parlements
De poursuivre les châtiments
Que méritent ses insolences.
Enjoignons à tous nos greffiers
De recueillir les dits notables,
Les gestes, les faits mémorables
De nos preux et hauts chevaliers.
Plus, en judicieux critique,
Voltaire les rédigera
Et la trompette entonnera
Pour en faire un poème épique.
Le public qui, trop pointilleux,
Est pour lui d’encens peu prodigue,
Y trouvera le merveilleux
Qui manque à celui de la Ligue.
Voulons que de tragiques sons
Il fasse retentir sa vielle,
Et que ses héros fanfarons
Soient tous formés sur son modèle.
En outre accordons de bon cœur
Que dans notre troupe falote
Il jouisse seul de l’honneur
De porter quadruple calotte.
Fait et passé dessus le mont
Qu’on nomme le mont des orages,
Des vents, des brouillards, des nuages.
Signé Momus, plus bas Aymon.
F.Fr.9353, f°201v-205r - F.Fr.15016, f°159r-167v - Lille BM, MS 65, p.314-27