Mascarade tirée des annales de France
Mascarade tirée des Annales de France
Momus un jour étant malade,
Faute de joie et de plaisir,
S’avisa pour se réjouir
D’ordonner une mascarade
Pour mieux exciter ses sujets
À lui présenter des objets
Capables de le satisfaire
Et de recueillir ses esprits.
Il promet de donner un prix
À celui qui saurait mieux faire.
Aussitôt que l’on vit l’affaire,
Il ne fut ni grand ni petit
Qui ne cherchât dans son esprit
Les moyens de se contrefaire.
Deux princes d’un rang distingué
Laissant leur naissance à côté
Se déguisèrent en ministres,
Portant des présages sinistres
D’un très malheureux avenir,
Ce qui fit bien des gens frémir.
Ducs en marchands se déguisèrent
Et de grandes boutiques levèrent.
Un maquereau quitta son bleu,
Prit un habit couleur de feu.
Bref, par un changement étrange
Le métal en papier se change,
La nonne quitte son couvent
Et prend un autre habillement
Pour aller en bonne fortune.
La pâle, la noire et la brune,
Même des femmes, se dit-on,
Se masquèrent de vermillon.
L’homme gai veut paraître triste,
Et le relâché, janséniste.
Mais l’homme austère on ne vit pas,
Dans tous ces changements d’état,
Se déguiser en moliniste.
L’avare parut libéral,
Jusqu’à donner deux fois le bal.
Mais ce qui doit le plus surprendre,
C’est qu’on vit un intendant tendre.
Le cocu complaisant et doux
Voyait tout sans être jaloux.
Le fier président s’humilie
Et de sa naissance s’oublie
Jusqu’à vouloir bien visiter
Un simple prélat le premier.
Il en souffrit dans sa cervelle
Mais sa mascarade était belle.
Des juges pour se distinguer
Prennent de l’argent pour juger.
La fille, sans le ministère
De père et pasteur, devient mère.
Les barbons deviennent badins
Et les évêques turlupins.
Enfin, quittant son caractère,
Chacun en prenait au contraire.
Momus en rit de tout son cœur
Et cette maligne vapeur
Qui le rendait mélancolique
S’envola. Je suis dieu d’honneur,
Quoique rieur et satirique.
Auquel de tous ces étourdis
Dois-je le prix que j’ai promis ?
Faites votre rapport, Mercure.
Il fit un rapport fort plaisant,
Mais l’aventure la moins sage
Et qui divertit davantage
Fut la transfiguration
De Montempuy en spectatrice,
Et de Duzanet en actrice.
L’un, dit-on, est diacre et chanoine,
Et dans Paris publiquement
Porte féminin vêtement ;
L’autre, à ce qu’on dit, demi-moine,
De plus doyen d’un parlement,
A fait le rôle d’Araminte.
Oh, parbleu ! je gagerais pinte
Qu’au dire d’un homme prudent
Ce dernier est le plus plaisant.
Holà, dit Momus, patience,
Cette affaire est de conséquence,
Jugeons-la sérieusement,
Que l’on m’apporte ma balance.
Je veux peser les actions
De ces deux masques et bouffons.
Ces deux actions balancées
Et scrupuleusement pesées
Par Mercure jusqu’à trois fois,
Se trouvèrent de même poids.
Oh, ma foi, nous sommes les dupes
De ces mascarades à jupes,
Dit Momus, et me voilà pris.
Il me faudra donner deux prix.
Mais n’importe, c’est peu de chose.
Je donne à Montempuis Provins.
Il y boira de bonne eau rose
Qui lui rafraîchira les reins.
Mais qui, Messieurs, – nous ne me dites
Ce qu’à l’autre nous donnerons –
Qui puisse égaler ses mérites ?
Car pour d’autres occasions
Je garde mes grandes maisons.
Eh bien, donnons-lui les petites.
F.Fr.9353, f°169r-170v - F.Fr.15014, f°195r-198v