Brevet sur Mr de la Motte, à l’occasion de la Relation qu’il a faite du concile d’Embrun
Brevet sur M. de La Motte à l’occasion de la Relation
qu’il a faite du concile d’Embrun
Comme dans une république
Tout périrait sans la chronique,
Que sans elle Grecs et Romains
N’auraient que des noms incertains,
Et qu’enfin dans ce vaste empire
Où tout, en circulant, respire,
Les plus immémorables faits
Dont on sait jusqu’aux moindres traits,
Du Lethé, sans son secours sage,
N’auraient réparé le ravage.
Nous, par les arrêts du destin,
Érigés chef des calotins,
Craignant que du badin vertige
Dans peu ne reste aucun vestige,
Et que de notre Régiment
Le temps qui suit gloutonnement,
Consigne toutes nos affaires
Aux espaces imaginaires,
Et qu’ainsi nos faits si vantés
Cessent un jour d’être cités,
Pour en conserver la mémoire
Voulons qu’en soit fait sûre histoire,
Et que sur la moindre action
Paraisse une relation.
À cet emploi nommons La Motte,
Fameux artiste en anecdote,
Homme, tant en prose qu’en vers
Sans égal dans tout l’univers.
C’est le garçon rare et sublime
Qui sans abandonner la rime
Sera de notre Régiment
Le chroniqueur et l’ornement,
Attendu que le fabuliste
Est un excellent moliniste,
Pour ce premier titre fécond
Il en vaut mieux pour le second
Et que, pour la gloire éternelle,
Sa plume toujours étincelle.
Voulons primo qu’en sûreté,
De notre infaillibilité
Sur faits solides comme crème
Il établisse le système,
Lequel tout avide, aspirant
Aux grands emplois du Régiment,
Approuvera par signature ;
Sinon proscrit, c’est chose sûre.
Secundo, que du savant corps
Dont il étale les efforts,
Pour faire goûter la morale,
Sa plume en tous genres égale
Sous l’énigmatique couleur
Des fables qui lui font honneur
En couvre sans trop de finesse
Le sens et la délicatesse.
De plus, comme en son magasin,
Selon le vouloir du destin,
On trouve pour toute matière
De quoi fournir ample carrière.
Que voulez-vous ? du grand ?
Du beau ? du simple ? du rampant ?
Sa docte main en toute affaire
A l’instant peut vous satisfaire.
Qu’ainsi, dans le combat d’Embrun
Des généraux tous un chacun
Trouvèrent en lui fortes armes
Dont furent causes grands vacarmes,
Que Senez1
, quoique secouru,
Fut attaqué, défait, vaincu ;
Que sur le train de la victoire
Dont au vrai lui seul a la gloire,
Longtemps même avant de camper
On ne pouvait pas se tromper,
Puisque le plan topographique
Fait par la main géographique
De ce travailleur sans égal,
Chez la sœur du grand général
Fut vu par toute sa brigade2
Avant de sonner la chamade.
Ores donc, attendu tous les traits
Marqués au coin des meilleurs faits,
D’ailleurs, qu’en bien plus d’une langue
Il dresse sentence et harangue,
Voulons qu’il soit dès le moment
Le factotum du Régiment.
Qu’à nos conseils seul il préside,
Qu’en toute matière il décide,
Qu’en cas de contravention
Aux lois de notre invention,
Et que quelque cour étrangère
À nos ordres soit réfractaire,
Seul il instruise tout procès.
Ordonnons que pour ses épices
Et pour fruit de tant de services,
Il aura moitié des dépens
Payés par les contrevenants.
Pour récompense de ses fables,
À former l’esprit si capables,
Voulons que sur les animaux
De notre Régiment vassaux
Il fasse des prosopopées
Par un sel moral terminées,
Qu’à nos maîtres de pension
Seul, par notre permission,
Pour d’ignorance n’en prétendre
Il fera débiter et vendre
En tous lieux où besoin sera.
Il dit, se tut, rit, s’envola.
F.Fr.12654, p.249-53 - Bordeaux BM, MS 700, f°257r-261r - F.Fr.25570, p.391-94 - F.Fr.15016, f°181r-184r - BHVP, MS 664, f°94v-98v - Mazarine, 3971, p.109-17 - Lille BM,MS 63, p.491-98