Jugement en dernier ressort rendu par Momus, conseiller d'Etat d'Apollon, lieutenant général de police, et MM. les commissaires en partie, contre Arrouet, dit Voltaire.
Jugement en dernier ressort rendu par Momus, conseiller d'État d'Apollon, lieutenant général de police, et MM. les commissaires en partie, contre Arrouet, dit Voltaire.
Vu par nous, Momus, Seigneur des plaisanteries calotines, conseiller d'État et lieutenant général de police du Parnasse. Houdart de la Motte, seigneur de Romulus, d'Oedipe, d'Inès de Castro, etc, Nicolas Danchet, seigneur des Tyndarides et Héraclides et autres pièces, Jacques Piron, Sr de Callisthène et Blaise Boissy, Sr d'Alceste, commissaires d'Apollon, en cette partie à nous présentée par Bernard de Fontenelle, sous le nom de la Demoiselle Bernard, par laquelle il nous aurait demandé acte de l'appel qu'il interjetait des applaudissements du parterre à la nouvelle tragédie dudit Voltaire, ainsi que de sa demande en revendication de ladite tragédie qu'il affirmait n'être qu'une refonte de celle de Brutus qu'il avait anciennement donnée sous le nom de ladite Dlle Bernard ; faisant droit sur la requête et sur l'appel dudit Fontenelle, avons mis et mettons les dits applaudissements donnés le 11 du présent mois à la pièce dudit Voltaire au néant, mandant, sans avoir égard à l'applaudissement du parterre, que nous déclarons pour la première fois susceptible de faillibilité, et ayant aucunement égard au rapport des spectateurs désintéressés qui ne se laissent pas séduire par les sons éclatants d'un vers qui ne doit souvent son mérite qu'à l'acteur qui le fait valoir ; ordonnons que les quinze cents vers refondus dans la nouvelle tragédie dudit Voltaire, en exécution du marché entre lui et les comédiens, demeureront pour son compte, à ses périls et risques ; en conséquence, le condamnons, et par corps, à rendre audit Fontenelle ou à la Dlle Bernard fondée de sa procuration, la quantité de sept à huit cents vers que ledit Voltaire aurait pris dans la pièce dudit Fontenelle, qu'il aurait retourné pour en cacher la vérité du larcin, de même qu'une partie des sentiments romains qui auraient fait l'admiration du public comme esprit de Voltaire, ce qui n'était que l'écho de Fontenelle, et au défaut par ledit Voltaire de faire ladite restitution, le condamnons par les mêmes voies à partager avec la Dlle Bernard les émoluments et profits que la décadence du siècle et du bon goût, la rareté des bonnes tragédies et l'ignorance des spectateurs lui assurent ; le tout, suivant le calcul qui en sera fait par le contrôleur de la comédie, ladite Dlle Bernard dûment appelée déclarant le présent jugement solidaire avec Nicodème Tricot sa caution, et attendu les contraventions dudit Voltaire au véritable esprit du poème dramatique, lui défendons sous les peines terribles du sifflet, de prendre à l'avenir aucun sujet de tragédie qui aura été traité avant lui, crainte que sa mémoire ne lui fournisse des traits que sa naïveté croira lui appartenir ; lui ordonnons pareillement d'observer plus de gradation dans l'intérêt, moins de laconisme dans les sentiments et surtout de faire parler une Romaine en Romaine, et non en héroïne d'opéra, de donner dans un ambassadeur l'idée de son véritable caractère, et non celui d'un fourbe maladroit, dont la grossièreté se développe à celui même qu'il veut tromper ; lui défendons d'employer dans ses tragédies des traits et des vers séducteurs qui étonnent l'ignorant, éblouissent le savant et arrachent l'admiration de ceux mêmes qui ne les entendent pas ; enjoignons en outre audit Voltaire de faire imprimer sa pièce pour cette fois seulement, pour en pouvoir reconnaître plus parfaitement les larcins, sauf à nous à prononcer les condamnations requises en pareils cas, nous réservant audit cas d'ordonner ce qu'il appartiendra, et sera le présent arrêt su et publié. Signé Pellegrin, greffier.
J'ai, soussigné, huissier à cheval et à pied, proclamateur de la juridiction du Parnasse, certifie avoir lu et publié au son de la clochette dans tous les bureaux de beaux esprits de profession de Paris le présent arrêt, ainsi que d'avoir saisi, mis et arrêté es mains des comédiens les sommes qui proviendraient de la sottise publique, pour être partagées suivant et conformément au présent arrêt, dont je leur ai donné copie afin qu'il n'en ignorent, avec les défenses requises en tel cas. Signé : le chevalier Pellegrin.
Maurepas, F.Fr.12633, p.421 - F.Fr.12800, p.199-02 - Grenoble BM, MS 587, 167r-168v - Lille, BM, 65, p. 287-94