Brevet de professeur de morale du Régiment de la Calotte pour Mr Doublet
Brevet de professeur en morale du Régiment de la Calotte
pour M. Doublet1
De par le dieu porte-marotte,
Nous, général de la Calotte,
Instruit qu’un bon gouvernement
Ne doit avoir pour fondement
Qu’un seul esprit, même idiome.
Selon cet ancien axiome
Des plus célèbres fondateurs
Et très sensés législateurs,
Un État n’est pas de durée
Si l’on n’en ferme pas l’entrée
À tous décrets, statuts nouveaux,
Contraires aux originaux
Auxquels il doit son existence.
Témoin le péril où la France
Se voit dans peu de couler bas
Depuis le Système de Las.
À ces causes, mus de tendresse
Pour notre illustre Régiment,
Et prévenir même accident
Dont la seule image nous blesse,
Avons très expressément conclu
De fonder un bon exercice
Pour tout postulant et novice,
Et pour ce faire avons élu
Pour professeur de notre école
Notre féal ami Doublet,
Homme connu sur sa parole,
Pour avoir un esprit follet,
Ou, si vous voulez, un génie
Qui portant à la manie
De toute espèce, et surtout
Tiendra bien parmi nous son point
En qualité de philosophe,
Philosophe à ne rien passer
À nos calotins de sensé
Qu’il ne censure et n’apostrophe,
Vu qu’il est avec la raison
Si brouillé qu’en toute saison
Été, printemps, hiver, automne
Également déraisonne ;
Et que sans s’en apercevoir
Il n’est du matin jusqu’au soir
Pas un instant, point de minute,
Contre le bon sens qu’il ne lutte.
Ordonnons que sur les profès
Il étende jusqu'au scrupule
Ces anciens droits de la férule,
Au plus léger et moindre accès
Qu’ils auraient de vivre dans l’ordre
Fatal à l’esprit de désordre,
Qui sait l’heureux tempérament
De notre aimable Régiment ;
Voulons de plus qu’en conscience
Le susdit notre professeur
Nous rende pour notre propre honneur
Compte de leur extravagance,
Nous dénonce tout calotin
Du sexe mâle et féminin
Qui pour ses leçons calotines
Aurait eu des humeurs malines.
Vu cependant qu’un tel emploi
Doit emporter avecque soi
Beaucoup de travail et de peine,
Lui décernons par droit d’aubaine
Pour chaque frère délinquant
Et chaque sœur délinquante,
Sur nos actions de l’Assiente,
Quatre livres tournois comptant.
Plus, lui donnons, en conséquence
De son droit acquis en naissant
De prendre parmi nous séance,
Deux mille écus dès à présent
Et par chacun an mille livres
Tant pour ses droits que pour ses livres,
À percevoir sur les vapeurs
De toutes les fèves en fleurs,
Et même sur le son des cloches
Qui relèvent de nos basoches ;
La médaille et le grand cordon
La triple calotte de plomb,
La robe à manches à l’antique,
Que par une faveur unique
Les fils aînés des empereurs
Accordaient à leurs précepteurs ;
Robe de clinquant et semée
D’exhalaisons et de fumée,
De papillons, girouettes et rats,
Grelots et sonnettes au bas
Pour honorer un si beau nom.
Signé Torsac, plus bas Aymon.
- 1 1721. Ceci est fait sans la participation des officiers du Régiment. C’est dans cette famille où ils ont voulu se réjouir (M.).
F.Fr.12654, p.25-28 - F.Fr.25570, p.333-36