Requête de Mme Doublet au général de la Calotte pour être du Régiment
Requête de Madame Doublet au général de la Calotte
pour être du Régiment
Grand général de la Calotte,
Au nom du dieu porte-marotte,
Descendez de votre grandeur
Et daignez sur moi, suppliante,
Depuis trente ans votre servante,
Jeter un œil de douceur.
Recevez au moins la requête
Que mon zèle a su me dicter,
Et que le jour de votre fête
J’ose humblement vous présenter.
À vos genoux humiliée,
Sœur Anne remontre qu’ayant
L’avantage d’être alliée
Aux plus fameux du Régiment,
Grâces au Ciel, épouse et mère
Plus par l’esprit que par la chair
De calotins à caractère
Qui n’ont rien à me reprocher
Sur le compte de la folie,
Il est pour moi mortifiant
Que Votre Excellence m’oublie,
Vu que mon air édifiant,
Mon penchant à la raillerie,
Mon goût pour la gloutonnerie,
Mon horreur pour le sérieux,
Ma nonchalance pour les dieux,
Pour les grands et pour la fortune,
Ma dépendance de la lune,
Mon attachement à Momus
Et mon zèle ardent pour Comus
Pourraient vous être chose utile
À faire entrer dans vos États
La Cour, la campagne et la ville
Si tout mortel n’en était pas.
Ce considéré, qu’il vous plaise
Rendre justice à mes écarts,
Et pour combler mon âme d’aise
Me ranger sous vos étendards ;
Me tirer de la peine extrême
De n’avoir plus à qui parler
Faute à quelqu’un de ressembler
Et d’être seule avec moi-même
Si mieux auparavant n’aimez
Qu’un calotin des plus famés
Par son zèle pour votre gloire
Après un sévère examen
Des vingt-trois ans de mon hymen
Vous conte la comique histoire.
La suppliante tous les jours
Si vous lui faites cette grâce
Priera les dieux que dans sa disgrâce
Vous railliez et buviez toujours.
F.Fr.12654, p.17-19 - F.Fr.25570, p.337-38