Aller au contenu principal

Brevet de garde des manuscrits en faveur de M. Berger de Charancy, évêque de Montpellier

Brevet de garde des manuscrits du Régiment de la Calotte,
en faveur de Monsieur Berger de Charancy, évêque de Montpelllier.
Du 26 octobre 1740. À Paris, à l'hôtel ordinaire du Régiment, Grande rue de Sève1

                                         Avis de l'éditeur
    Un événement des plus comiques a donné lieu à ce brevet de calotte. M. Berger de Charancy, évêque de Montpellier, vient de publier comme un ouvrage qui n'a point encore vu le jour, un écrit qui court depuis plus de 80 ans. Il a cru même voir dans cet écrit intitulé Lettre circulaire aux disciples de saint Augustin, le secret des jansénistes, parce qu'il s'est trouvé parmi les papiers d'un bon curé de campagne appelant, et il s'est empressé de le faire imprimer sous ce titre : Constitution, ou Secret du jansénisme. Ce qu'il y a de plus risible, c'est la gravité avec laquelle il a fait déposer chez un notaire la copie de cette prétendue Lettre circulaire avec deux autres pièces écrites de la propre main de ce curé pour qu'il soit libre, dit-il, à tout le monde de les voir pendant un mois, de les comparer et de se convaincre de ses propres yeux que, comme cet écrit a été copié de la propre main d'un appelant, c'est un ouvrage du Parti, et que par là le secret des jansénistes est enfin dévoilé. Monsieur Berger, fort peu versé dans l'histoire des affaires du temps, ne savait pas sans doute que M. Pascal dans la 15ème Provinciale en fait auteur le P. Megnier, Jésuite, que M. Arnaud en parle plus au long dans les procès des calomnies, tome VIII de la Morale pratique et que l'abbé Marandé, asservi aux Jésuites, l'a inséré dans son État présent du jansénisme, imprimé en 1654 chez Sébastien Dramoisi, rue Saint-Jacques, aux Cigognes. C'est ce même ouvrage que M. Berger vient de donner au public comme tout nouveau avec des notes critiques de sa façon. Il l'a décoré d'une lettre pastorale de 40 pp. in-4°, qui sert de prologue à cette comédie. La publication de cet écrit a occasionné le présent brevet qui ne fut jamais mieux mérité.

De par Momus, dieu jovial,
A Berger, son ami féal.
Comme ainsi soit qu'il est notoire
Que sur ce que le Régiment
Possède de plus éminent,
La bibliothèque a la gloire
De conserver le premier rang :
C'est là que maint auteur dépose
Les fruits de ses doctes travaux.
Nos évêques, sur toute chose,
De mandements originaux2
L'ornent si fort outre mesure,
Et surtout Monseigneur Berger,
Qu'on ne sait plus où les loger.
Oui, pour peu que ce zèle dure,
Nous espérons qu'incessamment
La bibliothèque falotte
Du Régiment de la Calotte
Vaudra celle du Vatican.
De sorte qu'étant important
De maintenir toute la gloire
D'un si noble établissement,
Dans notre savant consistoire
Nous avons jugé qu'il fallait,
Pour en augmenter la richesse,
L'orner encore d'un cabinet
Des manuscrits de toute espèce
Dont la beauté, la rareté
Egalât l'authenticité.
Connaissant d'ailleurs la science,
Le goût exquis, la suffisance
Du Sieur Berger, notre féal,
Qui n'a point encore eu d'égal
Pour connaître sur l'étiquette
Un manuscrit original,
Le déchiffrer sans interprète
Et le corriger doctement,
L'orner de leçons différentes,
De gloses, notes, variantes,
Et le tout très élégamment.
Témoin celui que, plein de zèle,
Il vient à des gens ignorants
Offrir comme pièce nouvelle,
Quoiqu'imprimé depuis cent ans.
Pour répondre donc à l'attente
De nos plus sublimes esprits,
Nous le créons par la présente
Garde de tous nos manuscrits.
Entendons qu'à sa diligence
Il soit fait par toute la France
Recherche de tous vieux papiers
Dont la jésuitique engeance
Leurre ses jeunes écoliers3 ,
Tels que les actes et mémoires
De Bourg-Fontaine, de Douay
Et toutes ces vieilles histoires
Qu'on a mille fois bafouées.
Voulons qu'auxdites paperasses
Il soit donné brillantes places
Dans le recueil du Régiment
Ainsi que dans son mandement.
Et si notre clergé de France
Allait, contre toute apparence,
S'aviser de trouver mauvais
Que, sans pudeur et sans décence,
Un prélat vienne à cet excès
De donner dans l'extravagance
Du fanatique Desmarets,
Fut l'écho, le panégyriste
Et le misérable copiste
Des Brisaciers et des Cellots,
Des Seguins, Fabris et Pirots,
Des Nouet, Megnier, Pintheraux,
Des Grassets et des Rabardaux4 ,
Race impure, troupe maudite,
Par le clergé cent fois proscrite ;
Déclarons ledit Sieur Berger
Exempt de s'en justifier,
Et de notre pleine puissance
Imposons au clergé silence,
Attendu que c'est charité
Et grand acte de piété
D'attaquer par des calomnies,
Des guet-apens, des perfidies5 ,
Ces appelants, ces boutefeu
Qui disent qu'il faut aimer Dieu.
Voulons qu'orné de la calotte
Et portant en main la marotte,
Berger contre eux dorénavant
Puisse mentir impunément,
Et si quelqu'un le sourcil fronce
Et vient à faire le méfiant,
Il n'aura pour toute réponse
Qu'à le renvoyer seulement
Aux manuscrits du Régiment,
Lesquels seront pour cette affaire,
Par l'abbé Duprat, son faussaire6 ,
Bien préparés auparavant.
Étant enfin de la justice
De lui donner gages, profits,
Proportionnés à l'office
De Garde de nos manuscrits,
Lui déléguons par la présente
La somme de cent mille francs
À prendre primo sur la vente
Des volumes de compliments7
Qu'il reçut dans son diocèse
Et qu'on a dit, ne lui déplaise,
Quoique succincts, fort éloquents.
Puis, sur le gain considérable
Que donnera l'édition
De la procédure admirable8
Dont ce génie incomparable
Met au jour la production.
Plus, mil écus sur la fumée
Qu'exhale à grands flots chaque année
À la tenue des Etats
La cuisine vaste, enflammée
D'aucun des Seigneurs, les prélats.
Item, lui permettons de faire
Chez quelque maître Aliboron
Imprimer en variorum
Comme sa lettre circulaire
Tous les recueils et papelards
Des pauvres curés campagnards,
Pour lui servir d'ample honoraire,
Le tout, sans compter les écus
Que sa mère, honnête fermière,
Doit envoyer de sa chaumière
Pour augmenter ses revenus.
Enfin, par une grâce insigne,
S'il persévère constamment
À se rendre toujours digne
De la faveur du Régiment,
Lui promettons encor d'avance
De le nommer pour récompense
À l'archevêché de Nostrand9
Aussitôt qu'il sera vacant,
Afin qu'il puisse avec sagesse,
Avec prudence, avec finesse
Convertir ou chasser tout net
Les appelants qu'il y connaît.
Quant à nos grelots et sonnettes,
Papillons, rats et girouettes,
Les avons donnéz ci-devant
À Senaut ce fougueux jésuite10
Dont la potence et le carcan
Sont l'expression favorite.
Et d'autant que le mandement
Sortit de sa plume érudite,
Les lui confirmons amplement.
Donné dans l'an où l'assemblée
De nos évêques turbulents
Par le Roi fut congédiée
Et dans le mois où les absents,
Partisans outrés de la Bulle,
Passèrent tous sous la férule
De Nos Seigneurs les Intendants.
Chez Jacques Gros, notre notaire,
Sera ce brevet en entier
Joint à la lettre circulaire11
Pour grossir son antiquaillier.
Signé Momus, porte-marotte,
Scellé du sceau de la Calotte.
Contresigné par Mustachin12
Interpelé pour cette fin.

 

  • 1Imprimé.
  • 2 Mrs les archevêques d'Embrun, de Cambrai, les évêques de Marseille, de Laon et autres (M.).
  • 3 Le P. d'Albaret, Jésuite, lut en 1720, en pleine classe, la lettre circulaire et plusieurs de ses écoliers la copièrent (M.).
  • 4 Jésuites célèbres dans l'art de calomnier et défenseurs de la morale relâchée (M.)
  • 5 Cabinet de M. l'évêque de Montpellier (M.).
  • 6 Vice-gérant de M. Berger, accusé de faux pour avoir signé une ordonnance autrement qu'il ne l'avait prononcée (M.).
  • 7 Le compliment de MM. les trésoriers de France est trop court et trop éloquent pour ne pas être rapporté ici. Nous venons, Monsieur, de la part du Roi pour vous faire notre compliment au sujet de votre exaltation à l'évêché de Montpellier. Ces Messieurs se retirèent ensuite, après avoir fait une petite inclination. Monsieur Berger qui fermait les yeux pour être plus attentif et pouvoir répondre avec justesse aux compliment qu'il se flattait de recevoir, n'entendant plus parler, lève les yeux et ne voit personne. Tout troublé, il s'écrie : Où sont ces Messieurs ? et court pour les aller chercher, mais très inutilement. On sait même que le magistrat qui portait la parole, avait ordre de sa compagnie qu'en cas que Monsieur l'Evêque les priât à dîner de dire au laquais : Va-t'en dire à ton maître que comme il n'y a pas d'ordre du Roi de dîner chez lui, il ne nous attende pas (M.).
  • 8 Tout le monde sait les fourberies, les folies et extravagances de M. Berger, sans se mettre même en peine des règles de l'humanité, dans les différentes procédures qu'il a faites ou faites faire contre des appelants, ce qui l'a mis en exécration dans toute la ville de Montpellier (M.).
  • 9 Quelques Messieurs de Port-Royal avaient eu l'idée de placer de l'argent sur cette île qui est dans le duché d'Holstein, déserte alors et que le Roi de Danemark voulait vendre à divers particuliers pour la peupler. Ce qui donna lieu aux Jésuites de dire que les Jansénistes voulaient aller fonder la petite Église à Nosrand. M. Berger renouvelle ce vieux conte (M.).
  • 10 Dans le brevet de calotte donné à feu M. de la Parisière, évêque de Nîmes (M.).
  • 11 Jacques Gros que Momus choisit pour notaire du Régiment de la Calotte, est celui chez qui M. Berger a déposé la Lettre circulaire (M.).
  • 12Le P.G. (M.).

Numéro
$4254


Année
1740




Références

Clairambault, F.Fr.12709, p.157-66 - 1754, VI, 97-105 - F.Fr.12785, f°211r - F.Fr.12655, p.279-287 - Arsenal, 3359, p.417-423 - Lille BM, MS 62, p.127-143