Brevet de médecin du Régiment de la Calotte pour le Sr Besse
Brevet de médecin du Régiment de la Calotte
pour le Sr Besse, médecin
Nous, Aymon, Lazur, Saint-Martin,
Des vastes États sublunaires
Et du régiment calotin
Élus plénipotentiaires
Depuis le décès de Torsac,
Aux calotins de toute espèce,
Savoir faisons que le Sieur Besse1 ,
Au teint couleur de tabac,
Médecin, dont la rhétorique
Ne distille le sel attique
Ains corrosif ammoniac,
Plagiaire du grand Chirac,
Et dans l'école d'Hippocrate
Plus inconnu que Boutencuir2 ,
Malgré les morts que de Saint-Cyr
A fait partir son opiate,
Disait un jour d'un ton plaintif :
Je purge en botus laxatif
Sans employer les hidragogues
Flegmagogues, melangologues.
Celui dont je fus écolier
Me fit un plaidoyer frivole
Pour l’enlèvement d’un cahier
Sur le systole et diastole.
J’ai fait bouquer les médecins,
Et du mal qui règne à Tolède,
J’ai su guérir les libertins
Sans les envoyer en Suède.
Après mille doctes combats,
J’entends le vulgaire profane
Traiter mes juleps, ma tisane,
Comme baume de Fierabras.
Dans la poussière et dans l’opprobre,
Je rentre enseveli, confus
Et je vois briller le Sidobre,
Dodart, Chirac, Helvétius.
Ce jeune médecin précoce
Se paone dans son carrosse,
Il m’enlève tous mes écus,
Et tandis qu’un rival m’éclipse,
Monté sur un bidet, fantôme de cheval,
Plus étique que l’animal,
Image de l’Apocalypse.
À tant de savoir parvenu
Besse mourra donc inconnu ?
Non, il faut que ma gloire éclate,
Dussè-je, nouvel Érostrate,
Brûler, profaner les autels.
C’est peu que tuer des mortels.
Médecins de la populace,
Immortalisons nos audaces,
Portons la terreur et l’effroi
Jusques aux médecins du Rio.
Il dit. De sa plume rustique,
Conduite par le dieu Momus
Et des rivaux d’Helvétius,
Sortit ce libelle caustique,
Ce petit livre tout broché,
Plein de brocards de Brioché.
Momus qui, du nouvel Icare,
Des grands originaux et de tout homme rare
Qui veut faire parler de lui,
Fut toujours le plus ferme appui,
Veut qu’en ses joyeuses archives,
Dans les couleurs les plus naïves
Soit peint le médecin falot
Au front caustique, atrabilaire,
L’œil sourcilleux, vif et colère,
Nouveau grotesque de Callot.
Mais en feuilletant nos registres
Pour lui donner de nouveaux titres,
Avons découvert que jadis
Ce docte à face ténébreuse
Se mit dans la secte nombreuse
Des tartuffes torticolis
Pour avoir dans l’œuvre charnelle,
Dans l’embryon et le fœtus,
Trouvé preuve d’âme immortelle
Ce medico theologus,
Cet anatomiste de l’âme,
Crépi d’un masque de bigot
Pour se glisser chez le dévot,
Plein du faux zèle qui l’enflamme,
Chaste écrivain hors de saison,
Nous dit que la seule figure
Du gentil vase de nature
Choque l’esprit et la raison.
D’un tel blasphème qui révolte
La belle et fringante cohorte
Des vestales du Régiment,
Il reçoit le châtiment.
Momus du haut du zodiaque
Voyant jà le glaive apprêté
De leur fureur démoniaque,
Préserva sa virilité,
Et par un excès de bonté
Lui fit part de son thériaque
Pour soigner la faible santé
Du dévot hypocondriaque,
Tempérer les émotions
Des nocturnes illusions.
On le voyait d’un pas allègre
Courir les champs comme un chat maigre
Aller de Versailles à Saint-Cyr
Débiter le baume élixir
Le catholicum, la réglisse,
Cachant une âme d’Harpagon
Sous la figure de Purgon.
Et Monie, ennemi d’avarice
Pour ce fait le tint parmi nous
Dans la brigade des poiloux.
À tous ces grands traits de calotte
Succède la noble marotte
D’une ambitieuse fureur.
Le dépit déchire son cœur,
Lorsque, monté sur Rossinante,
Il voit la berline éclatante.
Le bruit du char de son rival
Fait cabrer jusqu’à son cheval.
À son nom il tombe en syncope.
Tout lui paraît Helvétius
Semblable au prêtre misanthrope
Qui crut porter Jansenius
Au bout du nez comme une loupe
Et qui fut reçu dans la troupe
Des cénobites de Momus.
Le Régiment ,toujours propice
À tous les débiles cerveaux,
Voulant par des titres nouveaux
De Besse illustrer le caprice,
Le recevra dans sa malice
Au nombre des enfants perdus.
Ordonnant à nos lunatiques
De lui fournir dictums caustiques
Pointes, invectives, rébus
Balivernes médicinales
Et gasconnades triviales
Pour vilipender, courre sus
Tout ouvrage d’Helvétius
Qu’abandonnons à la critique
Du galéniste et de sa clique.
Or notre conseil calotin,
Admirant son orgueil mutin,
Son savoir, son expérience,
Le reçoit en la survivance
De notre premier médecin,
Boutencuir, par maints privilèges
Établi sur ce noble siège
Que Besse seul remplacera.
En attendant il jouira
Des immunités et salaires
De nos médecins ordinaires.
Nous lui joignons pour consultants
Le Vinache, Villars, Cigogne,
Et le médecin de Pologne
Avec trois experts pour les dents
Un adepte avec trois chimistes,
Treize souffleurs, cinq botanistes,
Voyageurs, glaneurs, médecins
Qui s’instruisent par les chemins
L’empirique au fameux breuvage
Qui guérit les gens de la rage
Bien mieux encore que Saint-Hubert
Sans les envoyer à la mer
Le flaireur de mine d’asphalte
Erinnius de Erinnis,
Qui dans son huile qu’il exalte
Trouva des secrets infinis,
Celui qui filtrant la rosée
Et tirant le nitre du ciel
Par le menstrue universel
Guérit la cervelle lésée,
Cinq apothicaires chinois,
Un grand astrologue à bésicles,
Le fameux oculiste Anicle,
Cinq accoucheurs sans ongles aux doigts,
Quatre grands inspecteurs d’urine,
Et trois frères de Rose-Croix
Dans ce conseil de médecine.
Notre Esculape de Saint-Cyr
Et substitut de Boutencuir
Sera le chef des controverses
Sur fièvres tierces, doubles tierces,
Sur tous les transports de cerveau
Et par privilège nouveau
Pour le sauver de toute niche
Et lui donner la gravité
Qui convient à la faculté,
Il portera barbe postiche
Et perruque au crin hérissé
Où peigne n’a jamais passé,
Chevauchant sur sa haridelle
Paré de la robe immortelle
De Me François Rabelais
Dans la cour de notre palais
Il pourra faire son entrée,
Portant sous sa toque carrée
Le fameux bonnet calotin.
Signé Aymon et plus bas Saint-Martin.
- 1e Sr Besse, médecin de Versailles à la place du Sr Douté en 1711, jouit en cette qualité d'une gratification annuelle de 3000 # sur le Trésor royal, que le Roi lui donne. Il était encore médecin du commun de Saint-Cyr, et au mois de mars 1715 il représenta au Roi qu'il travaillait depuis quinze ans avec un zèle infatigable; qu'il avait dépensé le peu de bien qu'il avait à l'entretien d'une voiture nécessaire pour le service du public ; qu'il avait donné 4000 # à la faculté de Paris pour se faire agréger, suivant les intentions de M. le Premier Médecin, et qu'il était très pauvre. Il demandait quelque gratification pour acheter une charge de médecin. Répondu par considération (M.).
- 2C'est Bontentuit (M.).
F.Fr.9353, f°295v-299r - F.Fr.12654, p.57-59 - F.Fr.12785, f°77-85 - F.Fr.15015, f°191r-199r - F.Fr.20036, p.323-334 (sic) - F.Fr.25570, p.297-305 - Nouv.Acq.Fr. 2485, f°37r-39v - Arsenal, 3359, p.133-140 - BHVP, MS 664, f°10r-17v - Mazarine, 3971, p.18-32 - Bordeaux BM, MS 700, f 276v-284r - Grenoble BM, MS 587, f°114v-117v - Lille BM,MS 63, p.18-31