Délibération de la Calotte au sujet de la pièce de Fuselier intitulée Pierrot Romulus
De par le dieu porte-marotte,
Nous, généraux de la Calotte,
Torsac, Aymon et Saint-Martin,
Tenant le convent calotin,
Ouï le Sieur La Torillière
Lequel à nous se complaignant
Du mauvais goût qui va régnant,
Prétend que la foule plénière
Va voir à grand flux et reflux
Pierrot soi-disant Romulus,
Lequel Pierrot pour chansonnette,
Quolibets, brocards et sornettes,
Se rit de la pièce qu’Houdard
A travaillé avec grand art,
Publiant que, vrai Nicodème,
Son fade héros a tout l’air
D’un contemplatif de Carême
Qui n’oserait toucher la chair.
Que contre les lois d’Aristote,
Houdard, par vilaine marotte
Dans ce sujet s’est avili,
En nous donnant pour seule cause
Ennus (?) veterrima belli
De tout le fracas qu’il expose
Qu’il est pauvre en sa diction
De même qu’en sa fiction,
Que Proculus et le grand prêtre
Font un couple aussi bas que traître,
De plus que la pièce finit
Au quatrième acte et recommence
Lorsque le grand prêtre bénit
Ou plutôt maudit l’alliance
Et crie en regardant de près
Que la victime sent mauvais,
Qu’enfin la scène est trop chargée
Et l’action mal engagée.
Ouï d’autre part Fuselier,
Pour Pierrot portant la parole,
Lequel prétend qu’un pareil rôle
Convient en particulier
À privilège singulier,
À ce sot d’effet et de mine,
Et que n’étant qu’une machine
Parlant par la bouche d’autrui
Il est à la mode aujourd’hui,
Que les troupes sont les cadettes
De toutes les marionnettes
Qui sont les modèles anciens
Des farceurs et comédiens,
Et que si, par une ordonnance,
On lui veut imposer silence,
Un ridicule il en naîtra,
Lequel de honte couvrira
Les acteurs à hautes aigrettes
Qui se montreront assez fous
Pour craindre les marionnettes
Et pour vouloir en sots jaloux
Que dorénavant on ne donne
À Pierrot, pièce belle et bonne.
Eux qui sont si hauts et si fiers,
En prose tout ainsi qu’en vers,
Jusque là qu'en rois de la scène
Ils veulent, orgueilleux complets,
Au grand mépris de l'hypocrène
Que les auteurs soient leurs valets.     
Délibéré sur la matière,
Ouï le Sieur La Torillière
Et Fuselier dans leurs raisons,
Au nom de Momus nous disons
Que les foireux par l’ordonnance
Étant obligés au silence,
Pierrot jouera sans parler.
Toutefois, pour nous signaler
Par alternative qui plaise
Et de tous nous fasse louer,
Voulons que la troupe française
Parle désormais sans jouer.
Consentons par faveur expresse
Qu’on lui donne les droits d’aînesse.
Plus, voulons qu’elle fasse choix
De l’action ou de la voix,
Pourvu qu’à Pierrot sa partie
Son dit choix elle signifie,
À celle fin qu’à l’avenir
Chacun sache à quoi s’en tenir.