Calotte d'Arouet
De par le dieu porte-marotte,
Nous, généraux de la Calotte,
Torsac, Aymon et Saint-Martin,
Tenant le conseil calotin.
Attendu qu’aux âmes bien nées
La vertu prévient les années,
Nous recevons le jeune Arouet
Dans un âge encore propre au fouet,
Chef et brigadier des poètes
Que par grâce et faveur secrètes
Le ciel au sortir du berceau
Rend digne du sacré Côteau.
Témoin le poème d’Oedipe
Où, sans étude et sans principe,
Même avant l’âge de vingt ans
Il étala tant de bon sens
Que la foule criant merveille
Le mit au-dessus de Corneille.
Ce qui donnant un juste orgueil
Audit Arouet, dans sa préface,
Il fit voir au doigt comme à l’œil
Les défauts des rois du Parnasse,
Prouva que Sophocle est grossier
Et que Corneille qu’on estime
Pour la pensée et pour la rime
N’était pas un fort grand sorcier.
Il est vrai que son Artémire,
Quoique pleine d’excellents traits,
Et des plus dignes qu’on l’admire,
N’a pu triompher des sifflets.
Mais la faute en est au parterre
Qui, jugeant de tout au hasard,
Déclare très souvent la guerre
Aux plus grandes beautés de l’art.
Au surplus ce rimeur, prodigue
En chefs-d’œuvre, toujours divers,
Va surprendre tout l’univers
Par un poème sur la Ligue,
D’autant plus qu’Homère et Virgile
Pour la pensée et pour le style
En approcheront aussi peu
Que le savoyard de l’hébreu.
« Je chante un roi, nous dit Voltaire
De ses sujets vainqueur et père,
Et qui, plein d’un cœur généreux,
Força les Français d’être heureux. »
Début sans doute magnifique
Et dont l’auguste majesté
Fait nargue à la simplicité
Qu’Horace dans sa Poétique
Exige de ceux dont la voix
Entreprend de chanter les rois
Par des poèmes héroïques.
Mais toutes ces vieilles pratiques
Et ces préceptes ne sont bons
Que pour des esprits peu féconds.
À ces causes, sûr que l’haleine
Ne lui fera jamais faux bond,
Quelque haut qu’il ait pris son ton,
Lui donnons pour prix de sa veine
Nos honneurs en plein, et pour droits
Lui déléguons cent francs par mois
Sur tous les bâillements que cause
Poème qu’écolier compose
Et dont le puéril effort
Fatigue un lecteur et l’endort.