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Brevet d’aruspice du Régiment au Sr Tiriot

Brevet d’aruspice du Régiment au Sr Tiriot
Des archives du Régiment
Garde vigilant et fidèle,
Toi, dont l’infatigable zèle
Sait soutenir si dignement
D’un corps illustre quoique grand
Les droits que Momus te révèle,
Aymon, prends tes plus beaux atours
Et tes brodequins des beaux jours,
Choisis la plus brillante troupe,
Parcours ainsi tout l’univers
Et va publier avec pompe
Ce brevet que j’ai mis en vers.
Vite, une plume que je signe,
S’écria Momus l’autre jour.
Brevetons un sujet si digne.
Qu’on ait soin d’assembler ma cour.
Quel est ce récipiendaire
Pour qui vous vous empressez tant ?
Lui demanda son secrétaire,
Morel, caustique mal plaisant,
Serait-ce quelque harmonophile,
Ou plutôt l’architecte habile
Du Temple de Gnide [? ]
D’Arouet, ce fameux poète,
C’est le fidèle compagnon,
Dit Momus, c’est son interprète,
C’est son clairon et sa trompette,
Enfin son perroquet mignon.
Un perroquet, quelle manie,
Répliqua ce scribe malin,
Voulez-vous en ménagerie
Changer le régiment badin ?
Parle mieux, ou je te fais taire.
Quoi ! le Pilade de Voltaire
Ne t’est pas connu ? Non, vraiment.
Des beaux vers du chantre d’Oedipe
Au portrait que tu viens de voir ?
Écoute, c’est le prototype
De ces grands docteurs de café
Qui sous un bonnet emprunté
Cache les oreilles d’un âne.
Je n’y suis point. Quel hébété !
Sur cet esprit peu diaphane
Répandons un peu de clarté.
C’est de la jeune Mariamne,
L’amant fidèle et déclaré.
Sais-tu qui c’est ? Non. Oh ! J’enrage.
Il était manœuvre au Visa.
Eh bien, à ce dernier trait-là
Le connais-tu, tête de page ?
Point du tout. Oh, grand dieu, quel sot !
Nommons-le donc, c’est Tiriot.
Tiriot ? Eh, qu’a-t-il pu faire
Pour mériter cet honneur ?
Sur notre insigne hémisphère
A-t-il de l’argent suborneur
Tarit la source circulaire ?
Bon, il a bien d’autres talents.
Sur la couverture d’un livre
Il a su juger du dedans.
Par ce trait seul, dans tous les temps
Sa mémoire est digne de vivre.
Ça, procédons diligemment
À faire d’un homme si rare
Tout ce qu’on peut faire de grand.
Écris, mais écris nettement.
Pour commencer, je le déclare
Aruspice du Régiment.
Ce titre est beau, certainement,
Mais la charge est un peu bizarre.
Quel sera son département ?
Le voici. De Cassandre
Et du feu bonhomme Chalcas,
Il aura seul le droit d’entendre
Et commenter les almanachs,
Et le privilège d’en vendre.
Dans Paris il criera de l’eau
Concurremment avec Bullot
Jugera des gens à la mine,
A des opéras, par le Roi,
Décidera de la doctrine
Par le poil qui croît au menton ;
Des perroquets mâles et femelles
Et de tout oiseau coqueteur
Il sera le répartiteur.
Eh bien, sont-ce là bagatelles ?
Plus, de cloches et des échos
Sera le suprême interprète,
Et pour tout dire en peu de mots
Juré professeur de roulette.
Ces droits sont beaux, et je me rends,
Mais de cet éminent office
Quels seront les émoluments ?
Il faut en donner une esquisse.
Tous nos fiefs sont assez grands.
Il aura pour appointements
Des quiproquos d’apothicaire
Et des jugements téméraires,
Comme aussi de tous faux rapports,
Les deux sols pour livre en dehors.
Entendu les doctes légendes
Qu’il nous débite entre ses dents
Sous les charniers des Innocents
Nous lui fondons 300 prébendes
Dont aux Quinze-Vingt ses parents
Il affermera les offrandes,
Le tout et chacun des melons
Garant de la troupe trouvé bon [sic]
Nous lui donnons le divident
Et part aux successions
De tous faux-saulniers et Gascons ;
Lui cédons pour sa petite oie
L’entière confiscation
De toute la fausse monnaie
Et des faux amis qu’on envoie
Par le paquebot à Lyon,
Le dixième sur les précossés
Qui sont gelés au printemps
Et la quintessence des noces
Faites sans amis ni parents.
Qu’en dis-tu ? Que bien mieux en France
Votre déité récompense
Les génies qui sont désignés.
Cela suffit, allons, signe.

 

Numéro
$4183





Références

F.Fr.12785, f°1561r-162r - Mazarine, 3971, p.213-22 - Bordeaux BM, MS 700, f°452v-456r - Lille BM, MS 65, p.191-99