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Arrêt de Momus au sujet des filles de l’Opéra in puris naturalibus

Arrêt de Momus,

au sujet de la danse des filles de l’Opéra
in puris naturalibus1
De par le dieu de la Marotte2 ,
Nous, Général de la Calotte,
À tous nos bons sujets, salut,
Honneur et gracieux sourire.
Dès l’instant même qu’il lui plut
De nous élever à l’empire,
Que dans le château de Livry
Où se fit la cérémonie,
On nous eut mis, après maint cri,
Sur le trône de la Folie,
Nous avons depuis, tour à tour,
Observant les temps et les classes,
Parcouru la ville et la Cour,
Pour savoir où placer nos grâces.
Gens affidés nous ont appris
Qu’à notre règne réservée,
Aventure était arrivée
Dans les magasins de Cypris,
Lieux galants, consacrés aux ris,
Où, malgré la primeur de l’âge,
Jamais n’entra de pucelage
Que suivi de chauve-souris.
Attendu que du ministère
Le Conseil est sage et profond,
Nous lui renvoyons, quant au fond,
Le jugement de cette affaire :
Car chacun, comme nous, sait bien,
Qu’entre notre avis et le sien
La différence est très légère.
Entendons préalablement,
Avant d’éclaircir les matières,
Que par arrêt du Régiment,
Il en soit fait des tabatières :
Que d’abord, mollement assis,
Par le moyen des raccourcis,
Ou nous représente Gruer,
Dans sa brutale émotion,
Qui de la Constitution3 ,
Présente à baiser le derrière.
Voulons qu’à quelques pas de là,
On peigne aussi le vieux Campra,
Soigneux d’ajuster sa lorgnette
Dans un mouvement encore vif,
Et portant un regard lascif
Sur un cul qui fait la courbette.
Autour de cet objet nouveau,
Pour en terminer le tableau,
D’un air qui frappe mieux la vue
Et marque plus le vertigo :
Que la Pélissier toute nue,
Malgré sa hanche peu charnue,
Figure avec la Camargo ;
Que de cette danseuse unique,
La luxure règle les pas,
Et de ses brillants entrechats
Nous découvre la mécanique ;
Que là, chacun des assistants
Songe à profiter des instants
Où s’offre une faveur si grande,
Et qu’à la sœur4 de la Légende,
Qui prodigue aussi ses appas,
Royer, très étonné du cas,
Porte son amoureuse offrande.
Vous, que la Constitution
(L’on entend celle de l’Église)
Met tous les jours en faction,
Prélats, parlez avec franchise :
Au milieu de tant d’objets nus,
Quoique le cas paraisse étrange,
Si vous étiez intervenus,
N’auriez-vous pas bien pris le change ?
Tel, dans Toulon, Père Girard,
À qui l’on prépare la hard,
Attendant bouillante chaudière,
Baisait le cul de la Cadière.
Et toi, qui la première sut
Faire montre de ta peau bise,
Sans aucun voile par-dessus,
Du voisinage en sa surprise,
Fanchon, entendais-tu les cris ?
Peu s’en fallut qu’à force ouverte,
On n’allât t’excéder… Tandis
Qu’elle a l’épaule découverte,
Qu’on lui donne la Fleur de lis ;
Que l’on punisse la parjure ;
Disait-il, et que de D.L5 .
On venge sur elle l’injure.
Mais qu’il s’élève et qu’il murmure ;
Ne crains rien d’un tel complaignant :
N’as-tu pas pour toi ?
Son auguste appui te rassure.
La Cour, qui l’a fait revenir,
Lui donne une faveur complète.
Il peut, crois-moi, te soutenir
Tout aussi bien que la Roulette6 .
Jouis en paix de ton destin,
Et qu’ainsi ne te contraigne.
Fait dans le Temple Calotin,
Le premier mois de notre règne.
Et contresigné Saint-Martin.

  • 1Autre titre: Ordonnance de M. de Saint-Martin, général de la Calotte, portant qu’il sera fait des portraits à tabatière représentant la scène qui s’est passée au magasin de l’Opéra (Clairambault)
  • 2La pièce que nous allons donner est un peu longue, il est vrai, mais on a cru que le Public la lirait avec plus de plaisir que des Nouvelles peu intéressantes ou quelque vieille historiette. Mais quoi ! toujours des vers ! dira cet esprit philo-prosaïque. Patience… je voudrais en avoir tous les jours de pareils, je renoncerais à la prose.
  • 3Actrice de l’Opéra (M.).
  • 4La Constitution (M.).
  • 5L’anonymat n’a pas été levé (M.).
  • 6Jeu de hasard (M.).

Numéro
$4132





Références

1732/1735, III,135-38 - 1752, III,134-37 - Clairambault, F.Fr.12701, p.107-11 - F.Fr.10476, f°38-40 - F.Fr.12785, f°206v - F.Fr.15017, f°99r-101v - F.Fr.25570, p.673-77 - Besançon BM, MS 561, p.96-99Lille BM, MS 64, p.239-46, Turin, 43-47 - Glaneur historique, 23 juillet 1731


Notes

Récit en prose en attendant la pièce en vers dans le Glaneur historique du 18 juin 1731