Les orgies, allégorie
Les orgies1
Allégorie
Depuis le jour où, captive en ses rets,
Vénus parut en attitude honnête,
Le dieu du jour, qui l’observa de près,
Se repentit d’avoir troublé la fête.
Depuis ce temps, tous mystères d’amours,
Gentils débats, jolies liturgies,
Lui sont plaisirs interdits pour toujours.
Pour célébrer les nocturnes orgies,
Amour attend qu’il ait fini son cours,
Et ses bons tours ne se font qu’aux bougies.
Un jour Phébus, tout plein de ses regrets,
Lui dit : faut-il qu’un éternel mystère,
À mes regards dérobe tes secrets
Et que la nuit en soit dépositaire ?
Oublie, Amour, que mes yeux indiscrets
Ont dévoilé les plaisirs de ta mère.
J’ai beau tout voir, il est certains attraits…
Ah, cher Amour, fais que je les éclaire !
Je le veux fort, dit le Dieu de Cythère.
Dans mon domaine il se trouve un palais,
Sérail commode, où tu peux t’introduire.
J’y vais, suis-moi. J’ouvrirai les volets.
L’enfant malin, qui cherche à le séduire,
Le mène droit, non dans ces lieux sacrés,
Des vrais amours asile inviolable,
Où tout respire une mollesse aimable ;
Mais dans ces lieux, des grâces ignorés,
Réduit impur de la luxure impie,
Vieux temple où gît la mollesse accroupie,
Asile enfin, où se sont retirés
Amours bâtards, à Lampsaque adorés.
Phébus y voit des prêtresses lascives
Qui provoquaient des satyres en feu.
Arme ton char des flammes les plus vives,
Lui dit l’Amour, et nous verrons beau jeu.
Phébus agit, pénètre, s’insinue.
Bras découverts et gorge à demi nue,
S’offrent d’abord ; ornements superflus,
Voiles fâcheux ne tiennent déjà plus ;
Lieu plus secret, nudité moins connue,
S’enfuit bientôt, et le jeu continue,
Tant et si bien, qu’à la fin aux regards,
Spectacle entier s’offre de toutes parts.
Lubricité, qui préside à la fête,
S’en applaudit, et soudain elle apprête
D’antiques jeux, inconnus de nos jours.
Au temps des Grecs, Vénus, aux belles fesses,
Avait un temple, où d’impures prêtresses
Sacrifiaient au plus vil des amours.
Tel sacrifice, en pareil sanctuaire,
Convenait fort. Phébus, avec horreur
Voit célébrer ce profane mystère.
J’ai cru trouver les Grâces et ta mère,
Perfide Amour, quelle était mon erreur !
Je crois ici reconnaître, au contraire,
Les noires sœurs, compagnes de Cerbère.
D’un vain éclat, vous qui fûtes frappés
De vils objets, adorateurs fantasques,
Pendant qu’ici je fais tomber les masques.
Venez, Mortels, et soyez détrompés !
Le dieu finit, et ses mains irritées
Ont à nos yeux arraché le bandeau.
Ribauds punis, Laïs décréditées,
Une autre fois, tirez mieux le rideau.
- 1 Autre titre: Pièce sur les querelles élevées entre le directeur de l’Opéra et son personnel (Chambre des députés) - Allégorie du 11 juin 1731 (Lille, MS 64)
1732/1735, III,132-34 - 1752, III,132-34 - Clairambault, F.Fr.12701, p.133-36 - F.Fr.15017, f°95r-97v -F.Fr.15146, p.30-35 - Stromates, I,31-34 - Chambre des députés, MS 1421, f°121 - Arsenal 2975, p.58-60 - Arsenal 2938, f°70r-70v - Arsenal 3128, f°272v-273v - Chambre des députés, MS 1441, f°121 - Besançon BM, MS 561, p.93-95 - Lille BM, MS 64, p.253-57 - Glaneur historique, 2 juillet 1731
Cette pièce a été composée par Bernard, âgé de vingt ans, au sujet d’une débauche infâme de Gruer et de quelques amis qui, après un dîner auquel ils avaient appelé quelques filles de l’Opéra, [qui] trouvant la chaleur insupportable, se déshabillèrent et dansèrent nues sans avoir eu la précaution de fermer les fenêtres, et prirent ensemble toute liberté et de toutes les manières. Une Dame voisine s’étant aperçue de ce jeu, en avertit M. Hérault, lieutenant général de police. L'aventure est narrée dansle Glaneur historique N°36, du jeudi 28 juin 1731