Parodie d’une scène de la tragédie d’Andromaque1

Avant que l’univers vous parle par ma voix,
Souffrez que j’ose ici me flatter de mon choix,
Et qu’à vos yeux, Seigneur, je montre quelque joie
De voir dans notre chef le défenseur de Troie.
Oui ! comme ceux d’Aymon, nous admirons vos coups.
Paris trembla sous lui, Londres trembla sous vous,
Et vous avez montré, par une heureuse audace
Que l’ami seul d’Aymon a pu remplir sa place.
Mais ce qu’il n’eût point fait, Momus, avec douleur,
Vous a vu trop longtemps rejeter cet honneur ;
Et par un vertigo, rare autant que modeste,
Satisfait du mérite, abandonner le reste.
Ne vous souvient-il plus, Seigneur, quel fut Hector ?
À cet air martial, je crois le voir encore,
Non triste, non plaintif, tel que le peint Virgile,
Mais tel qu’il reparut, sous les armes d’Achille.
Qu’a-t-il fait, après tout, que n’ait fait Saint-Martin ?
L’un massacra le grec, et l’autre le latin.
Et qui sait ce qu’un jour vous pourrez entreprendre ?
Peut-être, chez Pluton, l’on vous verra descendre,
À son sceptre terrible attacher des grelots,
Et par-delà le Styx arborer nos drapeaux.
Oserai-je, Seigneur, dire ce que je pense ?
Votre élévation passe mon espérance.
Vous aviez contre vous certain air de Caton,
Son flegme, et quelquefois sa sagesse et son ton.
Enfin du Régiment satisfaites l’envie :
Guerre au bon sens, voilà l’emploi de votre vie.
Perdez un ennemi, d’autant plus craint de tous,
Qu’il nous fut de tout temps inconnu comme à vous.

• 1Harangue faite à M. de Saint-Martin le jour qu’il fut élu général du régiment de la calotte, le 28 mai dernier 1731 par Piron - Pour bien entendre cette harangue, il faut avoir 1° Que M. de Saint-Martin a recueilli une succession en Angleterre en faisant assigner le roi Georges qu’il vainquit. 2° Que se trouvant à la tragédie d’Andromaque, il crut être Hector et pensa mettre l’épée à la main pour venger Andromaque. (F.Fr.10476).