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Edit pour la création d’une chambre ardente dans le Régiment de la Calotte, ensemble d’une compagnie d’archers et bas officiers d’icelle

Édit pour la création d'un chambre ardente
dans le régiment de la calotte,
ensemble d'une compagnie d'archers et bas officiers d'icelle
De par le dieu dont la puissance
Règne si glorieusement
Sur les cervelles de la France,
Nous, Colonel du Régiment,
Dont la calotte est l'ornement,
À toute notre favorite engeance
Jusqu'au plus petit acceptant,
Salut, santé, joie et finance,
Et doux plaisirs abondamment.
La parfaite reconnaissance
Que nous devons aux grands efforts
Que pour augmenter notre corps
Fait depuis dix-huit ans en France
L'inimitable Unigenit
Qui nous enseigne et nous prescrit
Ce que pour lui nous devons faire,
Ainsi que l'ordre et la manière.
À ces causes, sans avoir pris
Conseil de grands ni de petits,
De notre suprême puissance,
Comme superficielle science
Et despotique autorité,
Avons pour toujours arrêté
Que quiconque aura l'impudence
De vive voix ou par écrit
De refuser l’obéissance
À notre cher Unigenit
Sera par les autres honni
Comme vaurien, sujet rebelle,
Païen ou du moins infidèle
Et corporellement puni,
Et par l'ordonnance présente
Établissons à cet effet
Parmi nous une chambre ardente,
Où sans relâche sera fait
Le procès à tous jansénistes,
Augustiniens ou thomistes,
Et tous autres tels garnements
Se mêlant de prêcher les gens,
Et sous couleur que l'Évangile
N'ouvre qu'un sentier difficile
Prenant le monde par la main
Pour le tirer du grand chemin,
Nommons pour chef de ce concile
Le sincère et beau de Bissy,
Des vertus dudit Évangile
Le protocole en raccourci.
Lui donnons pour adjoints et frères
Le grand Tencin, avec les Pères
Que dans Embrun il assembla,
Lorsque pour faire un coup d'éclat
Et terrasser nos adversaires,
Il fit suspendre un vieux prélat
Qui gâtait toutes nos affaires.
Dans ce sénat rempli d'honneur
La Fare sera promoteur,
Et l'historien d’à la coque
Dont en vain le peuple se moque
Aura l'emploi de rapporteur.
Du reste la chancellerie
Appartient avec notre sceau
Au docte et ferme d'Aguesseau.
Si lui mandons qu'il s'en empare,
Sans avoir peur qu'on les sépare,
Ni qu'on partage le gâteau.
Au surplus, la chambre susdite
Pour exécuter ses arrêts
Aura cent archers, gens d'élite,
Qui sous un grand prévôt jésuite
Seront tirées à peu de frais
De nombre des petits collets
Que la feuille voit à sa suite.
Auxquels archers incessamment
Sera fait l’habit uniforme
De brefs romains en bonne forme,
Non acceptés au parlement.
En guise de brettes traînantes,
Ils auront des lettres patentes
Et sur l'épaule pour mousquet
Chacun sa lettre de cachet.
Voulons qu'en décente posture
On voye sur leurs étendards
Marie Alacoque et Girard,
Et qu'autour de chaque peinture
Sans peine on puisse lire écrit
Par la vertu d'Unigenit.
Ainsi la troupe triomphante
Pourra conduire à son gibet
Tout patient et patiente
À qui le procès sera fait.
Pour lesquels assister en grève
Nous nommons le tendre Couet
Et le doux Parquet, son élève,
L'un et l'autre les mieux au fait
Que sachions en cette rencontre,
Du pour aussi bien que du contre.
Élevons de tout notre cœur
À l'office d'exécuteur
Le fameux et zélé Lemoine,
De saint Benoît brillant chanoine,
Et pour l'acquit de son devoir
Lui donnons très ample pouvoir
Partout et de toute manière
De garrotter, questionner,
Marquer, donner les étrivières,
Pendre, rompre, empaler, brûler,
Tenailler, larder, écorcher,
Scier, brûler, pulvériser
Toute cette race maudite
Qui ne saurait voir un jésuite
Sans faire un grand signe de croix,
Surtout depuis quatre ou cinq mois,
Et qui, poursuivant sans relâche
L'incomparable Unigenit,
Semble autant avoir pris à tâche
De le congédier d'ici
Que d'y saper notre crédit.
Mais voulons de par le grand diable
Qu'il y triomphe ouvertement,
Et pour le faire sûrement,
Par cet édit irrévocable
Avons proscrit, proscrivons
Tous gens de jeûne et d'oraison,
Plus amoureux de leurs bréviaires
Que de vaquer à leurs affaires,
Tous gens n'ayant pour entretien
Que l'almanach de l'autre vie
Et n'étant jamais bons à rien
Dans une bonne compagnie,
Tous gens cherchant l'obscurité,
Vivant sans rien prendre à personne
Et n'acceptant ce qu'on leur donne
Qu'avec grande difficulté,
Tous gens d'ailleurs faisant l'éloge
De ce qu'on voit à Saint-Médard,
Et plaçant au martyrologe
Un antipode de Girard.
Voulons, mandons que tôt ou tard
Et d'eux et de leurs prosélytes
Races et maisons soient détruites
À notre gloire et au profit
De notre cher Unigenit.
Fait à Paris, sans jour ni date,
et paraphé de notre patte.

 

Numéro
$4080


Année
1731 / 1732




Références

1754, V,73-77 - F.Fr.10286 (Barbier), f°277-80 - F. Fr.10476, f°103-05 - F.Fr.12655, p.151-56 - F.Fr.12785, f°168r-169r - F.Fr.15017, f°149r-155 - F.Fr.15145, p.31323 - F.Fr.25570, p.753-59 - Nouv.Acq.Fr. 2485, f°112r-115v - Arsenal 2975, p.95-101 - Arsenal 3134, f°66r-69r - BHVP, MS 665, f°6 - F.Fr.15021, f°16v-18v -59v-62r - Mazarine, 3971, p.277-87 - Chambre des députés, MS 1422, f°150 - Besançon BM, MS 561, p.177-83 - Bordeaux BM, MS 693, p.668-69 - Lille BM, MS 62, p. 348-57 - Lyon BM, Palais des Arts, MS 51/2, f°174r-176r


Notes

Imprimé à la suite de L’Enfer révolté dans l’édition ayant pour titre : Les Nouveaux appellants ou la Bibliothèque des damnés. Nouvelles de l'autre monde, [S. l., 1732],