Brevet pour agréger le Sieur Camusat dans le Régiment de la Calotte par le Sieur Du S…, ci-devant jésuite
Brevet pour agréger le Sieur Camusat dans le Régiment de la Calotte
par Voltaire
Nous, par la grâce de Momus,
Qui mérite maint Oremus,
Régent sous sa dive marotte
De tous États de la Calotte,
À nos bien amés et féaux,
Les gens tenant nos tribunaux,
Officiers de robe et d’épée
Commandant dans notre contrée,
Salut. Le nommé Camusat,
Portant ci-devant le rabat,
Petit-maître dans l’art d’écrire,
Témoin ses journaux qu’on admire,
Voulant tenir le premier rang,
S’attirer le surnom de Grand,
Et surpasser les meilleurs maîtres
Dans la République des Lettres,
Ou du moins voulant s’en vanter,
Nous aurait fait représenter
Par les gazettes de Hollande,
Que sa réputation est grande
Tant à la ville qu’à la Cour ;
Qu’il souhaiterait mettre au jour
Un grand dictionnaire historique,
Et chronologique et critique,
Où Moreri soit surpassé
Et le fameux Bayle effacé.
Comme une entreprise si belle
Sortant d’une telle cervelle,
Sans en considérer la fin,
Part d’un grand génie calotin
Enthousiasmé de marotte,
Incontinent, n’ayant fait faute
De faire des perquisitions
Et prendre des informations
Sur les faits et dits du prud’homme,
Il nous est bien revenu comme
Ledit par de fameux exploits
Était digne de notre choix,
Comme il fut pour même salaire
Pupitre et bibliothécaire
D’un seigneur d’un très haut renom,
Brave, libéral et bonhomme ;
Comme ayant ses riches dépouilles
Il fut au pays des grenouilles
Les vendre, troquer, engager ;
Comme il fut mauvais ménager,
Mangeant, buvant, faisant gogaille
Avec de la pure canaille,
Putains, ribauds et male gent
Bien qu’il manquât toujours d’argent ;
Comme il fit mainte étourderie ;
Comme par insigne manie,
Il écrivit à son Seigneur,
Que s’il aspirait à grand’heur
Belle fortune et renommée,
Le ferait élire amiral,
Pour ainsi commander l’armée
Qui devait conduire à Witthal
Le Roi sans couronne et sans terre,
Et prendre toute l’Angleterre ;
Comme pour avoir de l’argent,
Le susdit dupa maintes gens ;
Comme, en partant, eut le courage
De faire marché pour l’ouvrage
Que ledit a fait annoncer ;
Comme avant de le commencer
Il tira lettre sur Hollande
De cinq cents florins ; mais fut grande
Sa détresse et mal eut au cœur,
Pour ce qu’on y fit point honneur.
À ces causes, pour récompense,
Et de notre pleine puissance,
Voulons que ledit Camusat,
Qui depuis a quitté rabat
Pour prendre gentille soubrette,
Soit par préférence parfaite
Reçu dans notre Régiment.
Lui donnons pour appointements
Chaque année quatre guinées
Sur tous les feux et cheminées
Que le Roi sans terre prendra
Et des Royaumes qu’il aura
Par le grand succès de la flotte.
Lui concédons triple calotte,
Ornée de six oreillons,
Rats, sonnettes et papillons,
Et plumes de coq de bruyère.
Fait l’an de l’ère calotière
Sept mille sept cent vingt-six
De nos bacchanales le dix.
1725, II, Supplément 11-13 - 1726, 261-263 - F.Fr.9353, f°261r-262r - F.Fr.12654, p.211-214 - F.Fr.12785, f°153v -154v - F.Fr.15015, f 133r-135v - F.Fr.25570, p.699 - Nouv.Acq.Fr. 4773, f°159v - Lille BM, MS 62, p.251-257
L'attribution à Voltaire semble très douteuse.