Le temps, allégorie
Le temps
Allégorie
Que par amour, frétillante déesse,
Comme Vénus, ou telle autre maîtresse,
Coure les champs, je le conçois fort bien.
Âge le veut, dignité n’y fait rien.
Mais voir Cybèle, honorable Matrone,
Mère des Dieux, descendre de son trône
Pour un garçon ! je la respecte fort,
C’est mon devoir : mais je crois qu’elle a tort.
Ainsi le crut son vieux mari Saturne,
Prince du temps, qui dans l’ombre nocturne
La découvrit (le temps découvre tout)
Avec Atys autrement que debout.
Grands altercats, grand bruit dans le ménage.
L’Amour s’enfuit, le Dieu mugit de rage.
Ah ! safranière ! ah vieille…
De ma franchise est-ce là le guerdon ?
Lors, d’autre part, sur ses ergots huchée,
Cybèle crie et hurle en insensée,
Tant et si bien que l’époux déplaisant
Demeura court. Cupidon là présent
Sur leur requête en arbitre s’érige
Peu sagement : car en fait de litige
Et de procès entre femme et mari
Perrin Dandin perd toujours le pari.
Un tiers ne doit entrer dans leurs sornettes.
Tirésias y perdit ses lunettes.
Or donc l’amour, comme il est quelquefois
Impertinent, sans égard aux lois
De chasteté, ni de foi d’hyménée,
Sans hésiter donna cause gagnée
À la déesse, et le Dieu suranné
Se vit encore aux dépens condamné.
Pauvres maris tel est votre salaire.
Le bon vieillard fut fâché, mais que faire ?
En appeler ? il eût perdu l’appel.
Il fit bien mieux, et son bonheur fut tel,
Qu’en peu de mois par le seul privilège
De Dieu du temps, sans autre sortilège,
Il se vengea très magnifiquement
De cet affront, et fit premièrement
Qu’Atys, lassé de sa sempiternelle,
Un beau matin fut prendre congé d’elle,
La régalant pour dernier paroli,
D’un beau sermon de fruges oculi
Dont il advint que la vieille lamproie
D’un fer tranchant le priva de sa joie
Et le rendit au défaut du pourpoint
Un Origène accompli de tout point.
Je suis déjà vengé de mes parties,
Dit le vieillard, et les voilà loties
À mon souhait ; le juge aura son tour.
Et dit et fait le maupiteux Amour,
Depuis alors sans espoir d’allégeance
Toujours vexé, sans trêve ni demi,
En quelque lieu qu’il se voie affermi,
Pour bien qu’il soit, il faut changer de gîte,
Et sans tarder, car s’il ne part bien vite,
Le temps le suce et le rend si chétif,
Que très souvent pour tout confortatif
On vous le met dehors à l’improviste,
Nu comme un vers, et gueux comme un chimiste.
Cent fois Amour a demandé repos,
Toujours le temps a dit : nescio vos.
Il est écrit qu’aux cieux comme sur terre,
Amour et Temps seront toujours en guerre,
Et ne verrons de trente jubilés
Par bon accord finis leurs démêlés.
Mais tous ces tours ne sont que bagatelle
Près de celui qu’il a joué chez celle
Que j’aimais tant. Oncques ne vis le jour
Où se plaît tant le joli Dieu d’amour.
Las ! rien ne sert que je le dissimule,
Ce beau soleil n’est plus qu’un crépuscule.
Ses yeux charmants ont perdu leur clarté,
Son teint flétri prêche l’humilité.
Bref ce n’est plus qu’un corps de demi-toise,
Ratatiné dans sa taille chinoise,
Et ce faux Dieu du temps s’en est saisi
Pour l’enlaidir en diable cramoisi.
Le pauvre Amour quelque temps, par morale,
A tenu bon, mais en somme finale
Il s’est enfui tout chétif, moitié nu,
Et le temps sait ce qu’il est devenu.
1725, I, 191-194 1- 732/1735, I, 189-192 - 1752, I, 189-192 - Clairambault, F.Fr.12701, p. 397-400 F.Fr.25570, p.666-668 Grenoble, BM, 587, f° 90r-91r