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Lettre de plusieurs députés au généralissime pour le faire rétablir dans les fonctions de sa charge

Lettre de plusieurs députés au généralissime
pour le faire rétablir dans les fonctions de sa charge1
    Le jugement qui a été rendu l’année dernière par les États généraux du Régiment, qui vous interdit de toutes vos fonctions jusqu’à ce que vous ayez reçu la visite que vous avez assuré que l’ambassadeur de la porte Ottomane devait vous rendre à Pontoise2 , n’ôte pas la liberté à vos amis de vous ouvrir leurs bourses pour soutenir l’auguste caractère de Généralissime dont vous avez été revêtu. Les grandes actions que vous avez faites pour y parvenir vous ont rendu si respectable dans toutes les patries du monde, et votre nom est si célèbre pour avoir paru à la tête de tous les arrêts, brevets, lettres patentes, sauf-conduits et autres expéditions, qu’il y va de notre gloire de mettre tout en usage pour l’y faire continuer. Nous convenons cependant que vous avez assuré un peu trop légèrement cette prétendue visite ; mais nous croyons néanmoins que ceux qui l’ont prise au pied de la lettre ignoraient le privilège que vous avez de badiner avec la vérité ; privilège qui vous sera infailliblement confirmé, si vous citez le rare expédient que vous trouvâtes pour dompter votre cheval, en changeant 2 000 écus d’argent en liards pesant 4 000 livres que vous lui fîtes porter d’Angoulême à Paris.
    Les cinq cuisines de plain-pied de votre château3 , dont les voûtes sont plus hautes que celles de l’Église de Saint-Maclou4 , les exploits que vous avez faits dans le champ de Vénus, exploits qui vous ont procuré tant de bonnes fortunes ; les lettres de François Ier à l’un de vos prédécesseurs pour faire chevaliers de l’ordre militaire de Saint-Louis, lettres que vous conservez soigneusement dans vos archives5  : tout cela parle pour vous. Fondés sur des titres si authentiques, nous avons consulté le célèbre Barcos le fils6 et autres jurisconsultes fameux du Régiment qui, après mûre délibération, ont été d’avis qu’il fallait vous pourvoir à la prochaine séance des États par de très humbles remontrances, qui tendront à faire réformer le jugement de ces États.
    Cependant nous apprenons avec douleur que, jusqu’à présent, vous avez négligé de les faire, ces remontrances. Au lieu de profiter de cet avantage, vous avez passé le temps à jouer au piquet et à l’ombre7 , et autres pareils amusements. En un mot vous avez pratiqué tout ce qui pouvait contribuer à votre dégradation, puisque vous avez exposé en vente vos chevaux de main et la belle jument dont vous aviez refusé cent pistoles, et que vous voulûtes donner quelques jours après pour trois milliers de fagots.
    Nous vous dirons donc franchement, qu’après avoir occupé un grade unique et aussi éminent que celui de Généralissime de la Calotte, c’est vous défier de vous-même et de vos amis que de vous abandonner à la nonchalance, ou de n’avoir recours qu’à des expédients d’une très faible ressource pour vous rétablir dans la dignité que vous avez possédée. C’est ce qui nous a obligés de vous donner avis par notre précédente du 10 avril dernier, que nous avons fait remettre 60 000 livres au Sieur Mansard de Sagonne,8 que vous avez dû recevoir. Vous pourrez par ce moyen conserver votre équipage et vous présenter dignement à l’ouverture des États généraux qui sont différés jusqu’au premier de juillet, pour vous donner le temps de travailler à votre défense.
    M. le chevalier de B…9 travaille actuellement pour vous défendre dans un factum, où il établit tous vos droits et privilèges par des raisons si solides, par preuves si claires et d’un style si éloquent et si pathétique, qu’il n’est pas possible que ses conclusions ne soient suivies. Il n’a rien négligé de tout ce qui pouvait contribuer au dessein qu’il s’est proposé ; surtout il n’oublie pas les actions mémorables que vous avez faites depuis longtemps, entre autres celle de la communauté de Sainte-Agnès,10 et les mesures que vous avez prises, après avoir consulté les astrologues du Régiment, pour faire des écuries pour les chevaux de votre brigade dans le jardin et dans la Cour du Sieur de C…11
    Toutes ces sages précautions nous donnent une si haute idée des rares projets que vous méditez, et tant d’admiration pour votre personne, que nous faisons tous les jours des vœux pour votre rétablissement et pour votre conservation. Nous finissons en vous assurant que nous sommes avec un très profond respect, vos très humbles et très obéissants serviteurs.

    Les Députés de Normandie, de Gascogne autres pays adjacents.

 

  • 1Mai 1722 (M.).
  • 2 Voyez la dégradation (M.).
  • 3 Il demeure à Pontoise chez Mr. de Cavernon beau frère du généralissime (M.).
  • 4Église de Pontoise (M.).
  • 5 Il eut ordre de recevoir Mons. de la Bacheloire, chevalier de St. Louis. Il s’en acquitta en grande pompe, en fut félicité par quelques imbéciles : sur quoi M. de T… déclara que François I avait donné à sa maison le privilège de créer des chevaliers de cet ordre, lequel n’a été institué qu’en 16… (M.).
  • 6 Officier du Roi (M.).
  • 7 Il perdit un jour 1000 pistoles à ces 2 jeux contre Mr. de C… (M.).
  • 8 L’un des gardes du trésor du Régiment (M.)
  • 9 Frère de l’Évêque de X… on l’appelle Mâchoire d’Asne (M.).
  • 10 Un peu d’eau qu’on jeta sur la tête du Généralissime, lui fit faire un carillon épouvantable, jusque là qu’il déclara que si l’abbesse ne lui payait son justaucorps, il allait envoyer chercher un détachement de gardes pour faire sauter le couvent (M.).
  • 11 Il fit arpenter la cour et le jardin de son beau-frère pour y faire des écuries. Celui-ci ne trouva pas que la chose pressât (M.).

Numéro
$4033


Année
1722 mai




Références

1725, I,137-42 - 1726, 92-96 - 1732/1735, I,138-43 - 1752, I,138-43 - F.Fr.9353, f°110r-113r - F.Fr.15014, f°41v-45r - F.Fr.20036, p.179-84 - F.Fr.25570, p.145-47 - BHVP, MS 663, f°52r-56v - Institut, 647, f°81r-83v - Bordeaux BM, MS 700, f°124v-130r - Grenoble BM, MS 587, f°70r-71v - Lille BM, MS 65, p.211-17 - Lyon BM, MS 754, f°56r-57v