réponse à une lettre de M. le Duc de la Trémouille
Non, non, ne croyez pas, Seigneur1 ,
Que faute de reconnaissance,
Les Muses gardent le silence,
Lorsque Mars vous comble d’honneur.
Rien n’a glacé leur éloquence
Que vos périls et leur frayeur.
Ce massacre, ce jour d’horreur,
De tant de deuil l’image noire
Les troublait : elles avaient peur
De finir trop tôt votre histoire ;
L’allégresse leur rend la voix ;
Vivez pour de nouveaux exploits.
A ces Condés, à ces Turennes,
Dont le sang coule dans vos veines,
Les dangers laissèrent le temps
De vieillir au métier des armes :
Egalez leurs noms et leurs ans,
Et que vos succès éclatants.
Coûtent désormais moins d’alarmes.
Vous respirez votre air natal
Partout où vous mène la gloire,
Et vous figurez bien au bal
Que donnent Mars et la Victoire.
Nos mentons rasés, nos galants,
Que bravait l’orgueil teutonique,
Sur les bords du Pô font la nique
Aux moustaches des Allemands.
La férocité, l’air sauvage,
N’est point l’enseigne du courage ;
Les soldats par César formés
En dansant allaient au carnage,
Tout poudrés et tout parfumés.
Les grâces que Phébus inspire,
Du vrai héros font l’ornement ;
Achille sut également
Manier et l’arc et la lyre.
Mars ne doit plus être jaloux
Des arts que votre goût caresse :
Sans vous tout languit au Permesse ;
Les Muses sèchent loin de vous.
De leurs regrets faible interprète,
Si j’en croyais mon sentiment,
Je partirais dès ce moment,
Non comme l’insensé poète2 ,
Qui cherche au camp une retraite
Contre un décret du Parlement,
Et contre l’archer qui le guette ; -
Mais tel que Campistron jadis
Armé de sa seule tablette,
Du grand Henri suivait le fils.
Clairambault, F.Fr.12705, p.121-122 bis - Maurepas, F.Fr.12633, p.269-71 - F.Fr.15147, p.55-59 - Stromates, I, 472-74
Sur ce poème voir Elliot Polinger, Pierre-Charles Roy, playwright and satirist, p.218-19.