Brevet d'examinateur et censeur des livres
pour le Sieur de Fontenelle
De par le dieu porte-marotte,
Nous, Général de la Calotte,
Ayant témoigné plusieurs fois,
Par écrit et de vive voix,
Combien nous avons en estime
Ce qui s'appelle prose et rime,
Deux célèbres et grands pivots,
Par lesquels grand nombre de sots,
A l'aide de l'imprimerie,
Débitent et mettent au jour
Impertinence et rêverie,
Tant à la ville qu'à la Cour.
À ces causes, vu la licence
Des livres qu'on voit à présent,
Dont le style et fade et pesant
Fait si peu d'honneur à la France,
Créons des examinateurs
Pour approuver et rime et prose,
Afin que parmi nos auteurs
À l'avenir aucun d'eux n'ose
Mettre en lumière prose et vers,
Où le bon sens soit de travers.
Or, parmi les grands personnages
Que nous commettons tout exprès
Pour examiner les ouvrages
À la rigueur, et de fort près,
Nommons Bernard de Fontenelle,
Censeur rigide et très fidèle,
Témoins les cent fables d'Houdart,
Qu'il dit pleines d'esprit et d'art,
Et qui pour le sens et le style,
Joignant l'agréable à l'utile,
Enferment en elles de quoi
Instruire notre jeune Roi.
Illustre et très digne louange,
Dont il régale aussi Vallange,
Ce miracle de notre temps,
Qui veut qu'un enfant à sept ans,
(Et tout cela sans hyperbole)
Soit un Homère, un Cicéron,
Un Démosthène, un Varron,
S'il est instruit dans son école.
De plus, que s'il se tient debout
Il ne tombera point du tout,
Même en patinant sur la glace ;
Qu'il sera peintre, musicien,
Géomètre et physicien,
Tant sa méthode est efficace,
Ce que Fontenelle soutient,
Et contre tout venant maintient,
Disant que Vallange en son livre,
Loin de raisonner en homme ivre,
Donne des principes constants
Et qu'il a combattu longtemps ;
Mais que cédant à l'évidence,
Il le croit utile à la France.
À ce sujet, nous rapportant
Sur la connaissance et le zèle
Dudit Bernard de Fontenelle,
Le créons juge compétent
De tout ouvrage où l'agrément
Et l'utilité doivent faire
Un mélange très nécessaire.
Lui donnons pour son successeur,
Moreau de Mautour, très capable,
En un mot, savant connaisseur
En fait d'utile et d'agréable,
Témoin sa composition
Et la belle approbation
Qu'il donne aux merveilles parlantes
De Versailles et de Trianon,
Que Monicart, auteur de nom,
Imprime et vend comme éloquentes,
Ce qu'on voit par le sobriquet
Que l'aimable Sapho s'y donne,
D'être une Magdelon Friquet,
Car bien souvent cette friponne,
Cherchait le loquet de Phaon,
À l'exemple de Madelon,
Maîtresse d'un soldat aux gardes,
Et la plus belles des guimbardes
Dont le régiment des pierrots
Ait chanté le nom et le los.
Portrait qui, fait en miniature,
Par un auteur sage et de foi,
Peut inspirer au jeune Roi
Un noble amour d'après nature.
À ces deux examinateurs,
Patrons de tous les bons auteurs
Et les fléaux de l'ignorance,
Tant pour gages que récompense,
Donnons mille livres tournois,
Payables de six en six mois,
Sur les brouillards de la rivière,
Traversant le pays d'Asnières.
Leur donnons notre grand cordon,
Et double calotte de plomb.
Voulons que nos Académies,
Qui du bon sens sont ennemies,
Fassent cas de leur jugement.
Fait au conseil du Régiment.