Plainte à Messieurs de l'Académie française
Plainte à Messieurs de l’Académie française
L’ombre de Richelieu doit citer les quarante,
Commment soutiendront-ils l’aspect de Rhadamante ?
Il est triste d’avoir pour son accusateur
Celui qui par ses dons fut votre fondateur ;
Vous voici donc, dira ce ministre implacable ;
De reproches honteux la France vous accable ;
Je vous avais créés pour la gloire des rois,
Et quand il faut parler vous n’avez plus de voix !
Stériles successeurs des Boileaux, des Corneilles,
Ingrats ! à quels travaux employez-vous vos veilles ?
On ne m’a rapporté depuis plus de vingt ans
Que des pièces sans goût et de fades romans,
Le français sous vos lois devient un persiflage,
Des beaux esprits du temps infortuné langage,
En voulant le polir leur style est languissant,
Et pour un faux éclat ils perdent le bon sens.
Avez-vous surpassé les Segrais, les Malherbes ?
Sans émulation vous n’êtes que superbes,
Et de votre institut négligeant les décrets,
Vous laissez les travaux pour jouir des bienfaits.
Je n’en suis pas surpris : la faveur ou l’intrigue,
Tous les autres moyens inventés par la brigue,
Ecartent le mérite, ils surprennent vos voix :
En vain vous réclamez contre vos mauvais choix,
La honte chaque jour croît et se manifeste ;
On refuse Voltaire et Marivaux vous reste.
Le terme est déjà loin de vos heureux destins,
Crébillon est chez vous le dernier des Romains.
Je connais bien le prix du fameux Fontenelle,
Je sais tous les talents où ce génie excelle ;
Je cite avec regret ce grand original,
Le tour de son esprit fut la source du mal.
Il eut l’art d’émousser les traits de la critique,
Les Grâces se chargeaient de son panégrique,
Et ses défauts, couverts de leurs plus belles fleurs,
Soumirent les esprits en captivant les cœurs.
De son style bientôt les disciples serviles
Mirent du bel esprit jusque dans les idylles.
Fontenelle engendra le subtil Marivaux,
Marivaux engendra Moncrif et ses égaux.
C’est de là que nous vient cette secte anonyme,
Dont le fade jargon est toujours une énigme.
L’homme de goût frémit à cette nouveauté,
Regretta la nature et sa simplicité.
En vain il la chercha dans vos nouveaux ouvrages,
Il ne la trouva plus. Pour fixer les hommages
Il fut se consoler avec l’antiquité.
Que fîtes-vous alors ? On me l’a raconté :
Au joug de la raison votre secte indocile
Tenta de dépriser Cicéron et Virgile ;
On traita de pédants tous leurs admirateurs,
Et même on applaudit à leurs vils contempteurs.
Quel procédé ! Perrault, cet écrivain frivole,
Trouva des sectateurs dans votre illustre école.
Il en subsiste encore. O honte de nos jours !
La vérité ne peut en arrêter le cours.
Malgré quelques auteurs que chez vous on révère,
Contre le mauvais goût il n’est plus de barrière :
On trouve plus aisé de dégrader les morts
Que de les imiter par de nobles efforts.
Bientôt par ce secret qu’inventa la mollesse,
Sous le nom séducteur de la délicatesse,
Vous verrez triompher les modernes Cottins,
Et le temple du goût renversé par vos mains.
N’étais-je donc l’auteur de cette académie
Que pour participer à tant d’ignominie ?
Vains projets des mortels ! votre fragilité
Doit me faire rougir de ma témérité.
Ai-je dû présumer, à l’honneur du langage,
Que la France sur Rome aurait un avantage ;
Nous avons vu finir la gloire des Latins,
Sénèque commença le jargon des Romains.
Il est un terme à tout irrévocable et juste,
Le siècle de Louis fut le siècle d’Auguste.
Retirez-vous, messieurs, votre nom est dicté,
Rayez votre devise : à l’immortalité.
Ce beau droit est acquis aux exploits du monarque
Que pour l’honneur du siècle a respecté la Parque ;
La victoire et l’amour le suivent en tous lieux,
Et sa seule vertu le place au rang des dieux.
Toujours indépendant de vos faibles ouvrages,
Sa gloire avec son nom passera d’âge en âge ;
Et quand tous vos travaux seront évanouis,
L’écho de Fontenoy parlera de Louis.
Bois-Jourdain, II,202-04
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