Parodie de la dernière scène de Mithridate
Parodie de la dernière scène de Mithridate
Le roi, le cardinal de Fleury, le cardinal Tencin
Le Roi
Ah, que vois-je, Monsieur, quel état est le vôtre !
Le cardinal de Fleury
Cessez et retenez vos larmes l’un et l’autre ;
Mon sort de sa tendresse et de son amitié
Veut d’autres sentiments que ceux de la pitié ;
Et ma gloire d’ailleurs digne d’être admirée
Par les pleurs de mon roi n’est que trop honorée.
J’ai régi vos Etats autant que je l’ai pu,
La mort dans mon projet m’a seule interrompu.
Ennemi des seigneurs et de leur tyrannie,
Je n’ai point de leur joug subi l’ignominie ;
Et j’ose me flatter qu’un ministre fameux,
Qu’une pareille haine a signalé contr’eux,
N’a pas plus abaissé leur orgueil et leur gloire,
Et de jours malheureux plus marqué leur histoire.
Le ciel n’a pas voulu qu’achevant mon dessein,
Je visse avant ma mort en ma place Tencin ;
Mais du moins en mourant quelque joie me console,
Je meurs environné d’ennemis que j’immole ;
De Fouquet j’ai signé l’exil de cette main,
Et mes derniers regards ont proscrit Chauvelin ;
A ce cher cardinal je dois cette fortune,
Il épargne à mes yeux leur présence importune :
Que ne puis-je payer ce service important,
De tout ce que ma place a de plus éclatant.
Sire, il soutiendra bien l’Etat et la couronne,
A votre majesté souffrez que je le donne ;
Et tous les vœux enfin que j’exigeais de vous,
Pour mon ami Tencin je les demande tous.
Le cardinal Tencin
Vivez, Monsieur, vivez pour nous voir l’un et l’autre
Sacrifier toujours mes sentiments aux vôtres ;
Vivez pour triompher de Belle-Isle vaincu,
Pour venger…
Le cardinal Fleury
C’en est fait, je n’ai que trop vécu ;
Sire, songez à vous, et gardez de prétendre
Que de tant d’ennemis vous puissiez vous défendre ;
Bientôt vous les verrez de fureur irrités,
Fougueux dans vos Etats fondre de tous côtés ;
Ne perdez point le temps que vous laisse leur fuite,
A rendre à mon tombeau des soins dont je vous quitte ;
Tant de Français sans vie en cent lieux dispersés,
Suffisent à ma cendre et l’honorent assez ;
Faire une prompte paix est l’unique remède.
Pour un temps plus heureux…
Le roi
Moi, Monsieur, que je cède !
Que le Prusse impuni, les Anglais triomphants,
N’éprouvent pas bientôt…
Le cardinal Fleury
Non, je vous le défends ;
Tôt ou tard Frédéric rendra la Silésie,
Fiez-vous-en aux soins de la reine d’Hongrie ;
Mais je sens affaiblir ma force et mon esprit,
Je sens que je me meurs ; approchez-vous, mon fils,
Dans cet embrassement plus consolant que triste,
Cassegrin vous dira si je meurs Fouquetiste.
Le cardinal Tencin
Il expire, grand Dieu !
Le roi
Calmez votre douleur,
Et venez au public montrer son successeur.
Bois-Jourdain, II,