Aller au contenu principal

Les fusées volantes, fable allégorique sur le système

Les Fusées volantes
Fable allégorique sur le Système
Un homme consommé dans l’art ingénieux
D’imiter à son gré les lumières du monde
Dont la nuit et le jour on voit briller les cieux,
Étoiles et soleil, et qui jusque dans l’onde
Sut allumer des feux
Dont l’humide élément respectait l’artifice,
Jeté par la tempête en un bord étranger,
Non content d’échapper un si pressant danger,
Joignant la fraude à la malice,
Résolut d’imposer la loi
A ce peuple ignorant et qui jamais chez soi
N’avait vu pareille aventure ;
Au sein donc d’une nuit obscure,
De ses feux tout à coup exposant l’appareil,
Il fait en plein minuit paraître le soleil,
Fontaines, serpentaux, gerbes, pétards, éotiles
De briller ; l’ombre fuit et replia ses voiles.
A ce nouveau spectacle un chacun accourut.
On le prit pour un dieu ; bien loin de s’en défendre,
L’artiste audacieux voulut
Qu’on se soumît aux lois qu’il lui plairait de rendre.
Pendant près d’une année on vit régner l’errreur ;
Mais le ciel démentit ses démarches rusées.
Une nuit qu’avec les fusées
Il portait partout la terreur,
Aux pieds d’un bon vieillard, homme sage et de tête,
Le hasard fit tomber une baguette,
Vil rebut plein de noirceur,
Et dont à peine on soutenait l’odeur.
Quoi donc, dit-il, cette clarté si belle
Que mon œil admirait, ne dure qu’un moment !
Elle périt d’abord et ne traîne après elle
Qu’une fumée épaisse ? A ce raisonnement
Il reconnaît la fourberie,
Et par un zèle adroit animant la furie
D’un peuple malheureux dans le piège arrêté,
A son discours sensé chacun devenu sage,
L’imposteur dans le feu se voit précipité,
Et périt par son propre ouvrage.
Toi de qui le système autrefois éblouit,
Et dont des maux affreux à présent sont le fruit,
Il n’est pas toujours sûr d’imposer au vulgaire :
Nous voyons tôt ou tard ses yeux se dessiller.
L’imposteur périt d’ordinaire
Par l’endroit qu’il croyait briller.

 

Numéro
$3754


Année
1720




Références

Bois-Jourdain, I,369-70