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La culbute de Mailly

La culbute de Mailly
                    1.
Or écoutez, petits et grands,
Un événement consolant,
Mailly, l’amour de notre prince,
Quoique d’un mérite très mince,
Mailly, l’objet de sa fureur,
N’est plus rien qu’un objet d’horreur.

                    2.
Depuis dix ans elle régnait
Sur ce cœur qu’elle maîtrisait.
Il la comblait de biens, de grâce,
Mais dans cette brillante place
Hasardée plus qu’il n’est permis
Souvent l’amour tourne au mépris.

                    3
Elle l’éprouve justement :
Joindre à un corps sans agrément
Une âme peu reconnaissante,
Une humeur brusque et arrogante,
Un esprit fort peu mesuré,
C’est s’expédier son congé.

                    4.
Et si nous fouillons plus avant
De mille forfaits l’instrument,
Ne devait-elle pas s’attendre
Que le Roi, juste quoique tendre,
Ses intrigues apercevrait
Et tôt ou tard les punirait.

                    5.
C’est à elle que nous devons
Tous les maux que nous ressentons
Sans son crédit, sans son suffrage,
Le plan de guerre eût fait naufrage.
Vous l’allez voir dans tout son jour
Et comme on mène ici la cour.

                    6.
Belle-Isle que chacun connaît
Avait enfanté le projet
De détrôner une orpheline
Et d’établir sur sa ruine
Un prince à la dévotion
du Roi et de la nation.

                    7.
Un projet si fol, si hardi,
Ne pouvait passer sans appui.
Le père qui lui donne l’être
Etait un trop habile maître
Pour oser se mettre en chemin
Sans quelque guide bien certain.

                    8.
Tout combinant dans son esprit
Il le communique à Mailly
Et lui tient un rusé langage
Tous les cœurs, dit-il, sont volages.
Pour retenir celui du Roi
Il vous faut un ami de poids.

                    9.
En moi vous l’auriez sûrement
Si vous m’obtenez l’agrément
Du projet que je vous propose,
Car si on entame la chose,
Par degrés il faut qu’à Fleury
Je succède en dépit de lui.

                    10.
C’était en effet son objet,
Et l’artifice consistait
A brouiller toutes les affaires
Et devenir nécessaire
Par l’enchaînement des sujets
Et l’importance du secret.

                    11.
Mailly pour s’affermir en cour
Saisit ce ingénieux tour.
Me serez-vous toujours fidèle,
Toujours attaché ? lui dit-elle.
Oui, Mailly, j’en fais le serment.
Hé bien, Belle-Isle, je me rends.

                    12.
Elle dresse aussitôt son plan,
Forme un parti de courtisans.
Le projet au Roi se présente,
Adroitement chacun le vante ;
Louis, flatté, s’en trouve épris
Et le communique à Fleury.

                    13.
Le Cardinal, rusé et fin,
Sentit d’abord le tour malin.
Voilà, dit-il, une surprise,
Une détestable entreprise,
Où l’honneur du Roi compromis
Veut que je m’oppose à tout prix.

                    14.
Car peu de temps auparavant
Il avait promis sous serment
Qu’il maintiendrait cette pupille
Dans la possession tranquille
Des biens énoncés au traité
Qui fut conclu et arrêté.

                    15.
Contre ce traité solennel
Un procédé si cruel
Choquait ce vieillard honorable,
Et dans la douleur qui l’accable
Il dit d’une plaintive voix,
Belle-Isle veut perdre son Roi.

                    16.
il cherche à détourner le coup,
mais son crédit a le dessous.
Le Roi, trompé par la cabale
Aux remontrances cardinales
Ne répond rien, s’en va chantant,
Mais son silence était parlant.

                    17.
Belle-Isle le jour s’excrimait
Et Mailly la nuit appuyait.
On soufflait au Roi sans relâche
Que son ministre était un lâche
Qui ne cherchait que son repos
Et à faire durer ses os.

                    18.
Pour la gloire de notre nom,
Pour l’honneur de la nation,
Il faut, mon cher Roi, lui dit-elle,
Vous venger sur cette donzelle
Des affronts que tous ses aïeux
Ont fait à vos lys glorieux.

                    19.
Il faut élire un empereur,
Le choisir selon votre cœur,
Qui n’ait ni force, ni puissance,
Qui soit sous votre obéissance.
Le Bavarois est votre fait,
Vous en ferez votre sujet.

                    20.
L’étendant ensuite à la main,
Vous limiterez vos voisins ;
Vous prendrez les places frontières
Et vous étendrez vos barrières.
Toute l’Europe tremblera,
Et rien plus ne résistera.

                    21.
Laissez chanter ce radoteur,
A qui les grands exploits font peur
Il connaît toute sa faiblesse,
Mais de Belle-Isle la sagesse,
L’esprit, le savoir, la valeur
Vous assurent d’être vanqueur.

                    22.
Hé bien, mon cœur, lui dit le Roi,
Je te jure sur ma foi,
Il accédera le vieux prêtre,
Ou sinon je l’enverrai paître
Et je saurai le remplacer
Ou par moi-même gouverner.

                    23.
Oh ! dit tout bas le Cardinal
Qui voulait rester à cheval,
Il faut donc qu’avec vous je danse,
Ou c’est fait de mon Eminence ?
Hé bien, dansons, je suis à vous,
Vaille que vaille, embarquons-nous.

                    24.
On fait partir dans le moment
Force escadrons et régiments ;
On les partage en trois armées,
Chacun suit sa destinée,
Tout retentit de cris de joie
Sous l’espoir d’aller plumer l’oie.

                    25.
On marche d’abord à grands pas ;
L’Autriche met pavillon bas,
On passe de là dans la Bohême
Et Prague se soumet de même.
Tout plie au gré de nos désirs,
Mais là finirent nos plaisirs.

                    26.
Les Allemands dirent : tout beau !
Il faut arrêter ces cerveaux.
Quelle ambition les possède ?
Quel démon ainsi les obsède ?
Ce sont des traîtres furieux
Qu’il faut expulser de ces lieux.

                    27.
La politique agit d’abord :
On commence à rompre l’accord
Qui nous liait avec la Prusse ;
On traite aussi avec le Russe,
Bref on marche avec nos amis.
Voilà comme l’on s’y est pris.

                    28.
l’Hongroise reprend ses esprits,
l’Anglais pour elle est attendri ;
il lui fait couler des guinées,
Fait passer en Flandre une armée ;
On la secoure de tous côtés
Et pour nous tout devient fermé.

                    29.
Pour comble de calamité
Belle-Isle sans capacité
Conduit nos troupes à la diable,
Fait des manœuvres pitoyables ;
Enfin il se laisse enfermer
Dans Prague sans pouvoir bouger.

                    30.
Pour sortir de sa prison
On fait venir la légion
Qui défendait notre frontière ;
Elle traverse la Bavière,
Passe au pays bohémien,
Le regarde, et puis s’en revient.

                    31.
C’est à l’esprit de Maillebois
Qu’on doit ces importants exploits ;
Belle-Isle et lui font bien la paire,
Le tout annonçait que l’affaire
Entre les mains de ces deux saints
Aurait une cruelle fin.

                    32.
Exposa-t-on jamais l’Etat
A la conduite de deux fats
Dont la superbe et l’ignorance
T’expose, malheureuse France,
A crier quartier à genoux
A des ennemis en courroux ?

                    33.
Enfin dans la Bavière épars
On court aujourd’hui les hasards.
Campé sous une toile fine,
Un jour on jeûne, un jour on dîne,
Toujours en crainte des hussards
Qui voltigent de toute part.

                    34.
Pour sortir de cet embarras
On fait venir à grands pas
Un général plein de courage,
Autant il est prudent et sage,
Mais nous te plaignons, Broglio,
D’avoir à ronger un tel os.

                    35.
De ta valeur, de ta vertu
Dépend pourtant notre salut.
Tu as du Roi la confiance,
Tu es des peuples l’espérance,
Le soldat, lui-même aux abois,
Renaît de marcher sous tes lois.

                    36.
Dans cette désolation
Qui croyait que la faction
Du perfide et maudit Belle-Isle
Ose encore étourdir la ville
De la beauté de son projet
Qu’on a ruiné, dit-il, exprès.

                    37.
C’est au Cardinal qu’il s’en prend ;
Il fallait l’accabler d’argent,
Dégarnir places et frontières,
Déserter la campagne entière
Et il aurait pris la souris
Endormie et ce dans son nid.

                    38.
Après l’échec où l’on perdit
Tant d’hommses, tant de chariots pris
Et qu’il fallut comme u déluge
Dans l’arche chercher son refuge,
Mailly voulaiat qu’au Cardinal
On imputât tout le mal.

                    39.
Elle sollicitait le Roi
A congédier de l’emploi
Ce ministre nonagénaire,
Dont tout le crime en cette affaire
Est d’avoir trop peu résisté
A ce complot d’iniquité.

                    40.
Le Roi, tous les jours harcelé,
S’y trouvait presque décidé :
Mais du vieillard la politique
Fit encore échouer la clique
Et le prétexte de ses ans
Fut écarté habilement.

                    41.
Vous me jugez, dit-il, au Roi
Trop faible pour un si grand poids ?
Hé bien, voici deux personnages,
L’un est adroit, l’autre est sage ;
Accordez-les moi pour adjoints
Et tout se fera bien à point.

                    42.
Cette ruse lui réussit,
Le Roi bonnement y souscrit.
Dès lors sur les bancs du Parnasse
Tencin et d’Argenson il place
Mais sous cette condition
Qu’ils ne lui disent jamais non.

                    43.
Maurepas et Saint-Florentin
Pour mieux écarter Chauvelin
Et pour perdre à jamais Belle-Isle
Furent de ce concours habile.
C’est ainsi que chacun pour soi
Dirige ici sa bonne foi.

                    44.
Le Cardinal bien affermi
Dit : pour le coup, Dame Mailly,
Vous m’avez bien porté des bottes,
Mais je jure par ma calotte
Que loin d’ici et à loisir
Je vous en ferai repentir.

                    45.
Je ne dis ps comme il s’y prit,
Mais il le dit et il le fit.
Concubine pour concubine,
Une jeune et gentille mine
Détache bien facilement
D’un meuble usé et dégoûtant.

                    46.
Enfin congé lui fut donné,
Car telle est notre volonté.
Que ne croyait-elle à la lettre
Qu’il ne faut pas toucher aux prêtres ;
Tôt ou tard ils ont souvenir
De qui les a voulu honnir.

                    47.
Voilà l’histoire en peu de mots
De bien des fourbes, de bien des sots ;
Voilà la secrète origine
De la guerre qui nous ruine,
Qui nous coûte tant de tourments,
Tant de millions, tant de sang.

                    48.
Dans cet état d’affliction,
Prenez un parti de raison,
Peuple enivré de fausse gloire,
Peuple trop facile à tout croire
Il n’est de vrai bien que la paix,
Ne formez point d’autres souhaits.

                    49.
Demandons-la au tout-puissant
Et qu’il confonde ces serpents
Qui brouillent la cour et la ville,
Qui nous troublent dans nos asiles ;
Qu’il éclaire enfin notre Roi
Pour nous rendre heureux sous sa loi.

Numéro
$3740


Année
1742 décembre




Références

Clairambault, F.Fr.12710, p.187-200 - Maurepas, F.Fr.12646, p.156-74 - F.Fr.13655, p.393-404 - F.Fr.15134, p. 633-42 -F.Fr.15150, p.339-63 - Arsenal 3117, f°18r-23r - BHVP, MS550, f°2v-10v


Notes

Remarquable récit des origines et du début de la guerre de Succession d'Autriche. Très hostile à Mailly et Belle-Isle