La Bulle définie par un curé de campagne
La Bulle définie par un curé de campagne1
Après avoir dit messe, un jour certain curé
Méditait sur un prône assez mal digéré.
Un dégourdi de son village
Le voyant en cet équipage
En l’abordant lui dit, bonjour, notre pasteur.
Quoi donc, vous êtes bien rêveur !
C’est sans doute quelque nouvelle
Qui vous occupe la cervelle.
Peut-on voir ce papier ? est-ce quelqu’oremus ?
C’est la bulle Unigenitus
Que je vais publier à qui voudra l’entendre,
Répondit le pasteur, ainsi comme à m’attendre
On se lasse peut-être, adieu, jusqu’au revoir.
Il faut à tout le moins prévoir
Avant que de monter en chaire
Sinon il vaudrait mieux se taire.
Bon, bon, dit l’égrillard, eh, vous n’y pensez pas.
Vous voilà par ma foi dans un grand embarras
J’ai chez moi d’un bon vin, curé, venez en boire,
Le bon vin le matin rafraîchit la mémoire
Et j’ai de reste encore quelques vieux rogatons.
Empochez votre bulle ; après nous la lirons
Venez, nous trouverons au logis nappe mise.
Le curé réfléchit, quitte sa mine grise.
Allons, dit-il, ne nous amusons pas.
Ils arrivent. D’abord, sans faire de fracas,
On s’attable, en deux coups on vide une bouteille,
Une autre arrive, enfin tout se passe à merveille.
Mais que fit notre drôle ? ; à ses fins il visait.
Il prit le moment que le curé buvait,
Il tire adroitement la Bulle de sa poche.
Il lui glisse un couplet. Dans cet instant la cloche
Se fait entendre ; on se lève, on s’en va,
Le curé peu certain de ce qu’il prêchera.
On l’attendait, il monte en chaire.
Je viens vous annoncer une bien grande affaire
Dont sans doute serez surpris.
Il fait un grand in nomine patris.
Frères, il s’est glissé depuis peu dans l’Église
Des abus plus cuisants que n’est le vent de bise.
C’est l’ouvrage maudit d’un troupeau de sorciers.
Oui, je les brûlerais moi-même volontiers.
Ils s’appellent, dit-on, messieurs de l’Oratoire.
Ce sont eux qui voulant éterniser leur gloire
Sont les seuls boutefeux de tant de remuements.
Ah ! grand Dieu, les vilaines gens !
Pour éviter leurs coups, leur rage, leur furie,
Disons cent fois par jour l’oraison à Marie.
En unmot, mes chers auditeurs,
Ce sont autant de séducteurs
Qui pleins d’une mauvaise bile
Ont renversé tout l’Évangile.
Mais il leur en cuit, car le Père éternel
Les a tous foudroyés par un arrêt cruel.
Ce arrêt, mes enfants, c’est une bulle sainte
Que nous devons tous accepter sans crainte.
Par inspiration du pape il est prescrit
D’en envoyer partout un manuscrit.
Le voici, mais silence. En revenant de Pise
Je pris ma robe grise.
Je vais tout expliquer, Pise est une maison
A quelques pas de Rome où le pape, dit-on,
Va quand sa poitrine le presse,
Faire usage du lait d’ânesse.
Admirez, mes enfants, sa douceur, sa bonté.
Il ne veut point tromper votre crédulité.
Il daigne nous mander, pour ôter tout scrupule
Comment du divin greffe il a reçu la Bulle
Je rencontris Nanon
Et la jetai sur le gazon.
Voyez qu’il aime peu la pompe du Saint Siège :
Nanoni, cardinal, ferait tout son cortège.
Levai son cotillon
C’est pour se mettre en oraison
Car ces deux saints prélats sont toujours en prière.
Après avoir fini cette sainte carrière
Sans doute ils jouiront du prix de leurs travaux.
Ah, j’aperçois déjà ces deux heureux rivaux
Savourer à longs traits cette douce allégresse
Dont Dieu récompensa la sainte sécheresse.
Grand Dieu, mais achevons… mis la maison sur son…
Qu’on m’ôte ce papier, c’est bien avec raison
Que l’on m’a dit cent fois, à diverses reprises,
Que la Bulle partout fourmille2
de sottises.
F.Fr.10479, f°30-40 - F.Fr.15155, p.183-89 - Arsenal 2964, f°92r-93v - Marseille BM, MS 532, f°18v-19v