Poème à M. le maréchal de Saxe
Poème à M. le maréchal de Saxe sur la bataille de Rocroux
Quel est donc ce héros qui, longtemps attendu,
Du Ciel enfin pour nous semble être descendu ?
Jamais mortel ne fut ni plus grand ni plus sage ;
Tout ne respire en lui que noblesse et courage.
Par son bras, son bras foudroyant que Minerve conduit
Le Belge est terrassé, l’Autrichien est réduit ;
Que dis-je ? son seul nom plus puissant que ses armes
Jette en tout lieu la crainte et remplit tout d’alarmes.
L’Anglais par lui vaincu connaissant sa valeur
Confesse sa défaite et s’en fait un honneur.
On dirait à son air et sa noble figure
Que c’est Mars revêtu de l’humaine nature
Ou que, la foudre en main, Jupiter aux Français
Vient apporter du Ciel la victoire et la paix.
Parmi tous les guerriers dont la Grèce est la mère
Et que le monde encor si justement révère
En est-il comme lui qui, bravant les hasards,
Aient cherché la mort volant de toutes parts ?
Non, ni l’ancien Pyrrhus, ni le grand Alexandre,
Ni celui dont en France on respecte la cendre,
Turenne de son prince illustre défenseur,
N’ont jamais fait paraître une telle valeur
Et cette illustre Rome en héros si féconde
Sous des chefs si vaillants n’a point dompté le monde.
A ce portrait divin tracé sur la raison,
Français, reconnaissez ce généreux Saxon
Qui dans l’art de combattre, instruit par la victoire,
Se fraye en vous souvent un chemin vers la gloire ;
Qui, n’ayant qu’une vie, au milieu du danger
Ignore ce que c’est que de la ménager ;
Enfin qui, soumettant cent peuples à nos lois,
Remplit le monde entier du bruit de ses exploits.
A ces coups menaçants, si craints dans la bataille,
Namur oppose en vain ses superbes murailles ;
Cette ville bientôt, oubliant sa fierté,
Aux pieds de son vainqueur porte sa liberté
Et condamnant enfin sa vaine résistance
De notre illustre chef implore la clémence.
Tandis que les vaincus, pressés de toutes parts,
Pour se rendre aux Français sortent de leur remparts,
Saxe que notre bien et son courage excitent,
Suit partout l’Autrichien et l’Anglais qui l’évite.
Tel on vit autrefois sous ces murs renommés
Où tant de Grecs ont vu leurs travaux consumés
Achille furieux d’une course rapide
De son illustre ami poursuivre l’homicide.
Hector qui voit ses dieux réunis contre lui
Dans son terrible bras ne met plus son appui,
Et dans sa fuite même emportant sa conquête
Au danger menaçant veut soustraire sa tête.
Ainsi Charles qui sent son ennemi plus fort,
Fait pour s’en délivrer un inutile effort.
La prudence bientôt faisant place à la honte,
Il marche pour savoir quel danger il affronte
Et ne respirant plus que carnage et que sang,
Pour animer les siens vole de rang en rang.
A le voir tout couvert de sang et de poussière
Faire éclater partout son ardeur meurtrière,
On dirait que Bacchus prodiguant ses faveurs
Aurait à ce guerrier inspiré ses fureurs.
Mais à quoi bon vouloir forcer sa destinée ?
Il court à son malheur, sa perte est assurée ;
Car bientôt emporté par un flots de fuyards
Il laisse en reculant prendre ses étendards.
Heureux dans son malheur si par cette retraite
Il eût pu prévenir une double défaite.
Mais en vain convaincu de sa témérité,
Il cherche son salut pendant l’obscurité ;
Car à peine du jour l’heureuse avant-coureuse
Eut sur notre horizon annoncé la lumière
Que Saxe, profitant de l’ardeur du soldat,
Aux vaincus effrayés vient offrir le combat.
L’Anglais et l’Autrichien qui par une victoire
Voudraient se signaler et réparer leur gloire,
Opposent aux Français leurs escadrons nombreux
Et font pour l’emporter mille efforts rigoureux.
Mais ils ont beau tenter la victoire incertaine
C’est inutilement, leur résistance est vaine.
Saxe est insurmontable et sous lui nos guerriers
Seront toujours vainqueurs et couverts de lauriers.
Enfin, voyant ainsi son audace punie,
Chacun ne songe plus qu’à conserver sa vie
Charles même est contraint dans ce double malheur
Pour prolonger ses jours d’oublier son honneur.
Il fuit en se livrant à sa douleur extrême,
Il accuse le sort, ses soldats et lui-même.
Il reconnaît sa faute et d’un œil douloureux
Il se voit en deux jours doublement malheureux.
Telle était la douleur de Charles dans sa fuite.
Mais l’invincible Saxe, ardent à la poursuite,
Profite en ce moment du trouble des esprits,
Foudroie des vaincus les malheureux débris
Et voyant en ses mains l’intérêt de la France
Tire de l’Autrichien une juste vengeance.
Oh ! vous dont Apollon protège les efforts,
Pour chanter ce héros, redoublez vos transports !
Que par vous sa valeur et sa double victoire
Soient mises pour jamais au temple de Mémoire,
Et que son nom fameux, célébré par vos vers
Soit éternellement vanté dans l’univers
Pour moi, qu’on ne vit point, plein d’une docte ivresse,
Fréquenter ces beaux lieux qu’arrose le Permesse,
Je me contenterai, du moins pour cette fois,
Avec le monde entier d’admirer ses exploits.
Clairambault, F.Fr.12715, p.285-90 - F.Fr.10477, f°321-23 - F.Fr.13658, p.125-29 - F.Fr.15151, p.26-38