Vers de M. Dorat sur sa seconde rupture avec Mlle Dubois de la Comédie-Française
Chassé deux fois, c’est trop friponne1
;
Quoique je m’attende à tes jeux,
Ce nouveau caprice m’étonne,
Je suis indigné, furieux,
Et cependant je te pardonne.
Ce sont les droits de la beauté ;
Du benêt qu’elle a maltraité
Elle obtient encore les hommages :
Nous autres sots, soi-disant sages,
Ainsi l’avons-nous arrêté.
Mais ton Argus2
! que Dieu confonde,
Qu’on voit sans cesse autour de toi
Tonner, frémir, faire la ronde ;
Ce dragon armé contre moi,
Qu’un rien aigrit, qu’un rien alarme,
Et qui n’est prompt qu’à soupçonner,
Je ne lui connais point de charme
Qui m’invite à lui pardonner ;
Permets qu’au moins je m’en amuse :
J’ai mon congé, c’est mon excuse ;
D’autres iraient se lamentant,
Te reprochant tes injustices :
Pour moi de tes jolis caprices
Je me console en plaisantant.
Dis-moi donc, qu’est-ce que demande
Ce vieux Bostagi des amours ?
Dois-tu trembler quand il commande,
Et lui prodiguer tes beaux jours ?
Donne-t-on des chaînes à Flore ?
Elle éparpille sous ses pas
Les roses qui viennent d’éclore :
Un seul ne s’en contente pas.
La jeune et brillante immortelle,
Dans les champs qu’elle a fait fleurir,
S’envole où le désir l’appelle,
Et court souvent après Zéphyr,
Comme Zéphyr court après elle :
Peut-tu recevoir dans tes bras,
Toi, Rosine, toi, fraîche et belle,
Ce décrépit et lord Midas,
Que tu trouves toujours rebelle
A l’aiguillon de tes appas ;
Qui pour t’occuper te tourmente,
Et sur ta bouche de vingt ans
Imprime un baiser de soixante.
Je crois voir le Cyclope affreux,
Ce forgeron atrabilaire,
Qui de son antre ténébreux
Tout en boitant vient à Cythère,
Attrister les rires et les jeux,
De Vénus salir la ceinture,
Effaroucher la volupté,
Et souiller le lit de verdure
Qui sert de trône à la beauté.
Ah ! ramène enfin sur tes traces
Et la folie et l’agrément :
Allons, Rosine, au nom des Grâces,
Chasse nous ce froid surveillant ;
Il t’ennuiera pendant sa vie ;
S’il t’enrichit après sa mort.
Ah ! n’est-tu pas jeune et jolie ?
Dispose seule de ton sort.
Ta voix, ta voix enchanteresse ;
Dont les accents victorieux
Au fond des cœurs portent l’ivresse,
La langueur, le trouble et les feux ;
Ta taille élégante et légère,
Ton œil fripon, le don de plaire,
Qu’à la beauté l’Amour préfère,
Mille talents voluptueux,
Quelques grains de libertinage,
Tes faiblesses et nos désirs ;
Crois-moi, voilà ton héritage,
Enrichis-toi par les plaisirs.
Mémoires secrets, I, 261-263