Ode - Les girardins
Ode
Les Girardins
Où suis-je, quel affreux mystère
S'offre à mes timdes regards ?
Dans le sein d'une tendre mère
On enfonce mille poignards !
Le dépit, la fureur, l'envie,
La discorde, la jalousie,
La mort, la haine, la terreur,
Armés d'un glaive parricide
Volent au secours d'un perfide
Que l'œil ne voit qu'avec horreur.
Rien ne s'oppose à leur passage,
Tout fuit leur injuste courroux ;
L'innocence en butte à leur rage
Tombe expirante sous leurs coups.
Les injustices, les injures,
Les menaces et les tortures
Viennent seconder leurs complots,
Thémis est muette et tremblante.
Le soleil, saisi d'épouvante,
Se précipite sous les flots.
Catons, dont la main secourable
Sait soulager les malheureux,
Dont la majesté redoutable
Fait pâlir le crime orgueilleux,
Vous, les appuis de la justice,
Qui par un utile supplice
Savez punir l'iniquité,
Souffrirez-vous qu'un pareil monstre
Ait la puissance de corrompre
Le tribunal de l'équité ?
Et toi, dont la tendre jeunesse
Fait au loin respecter ses lois,
Cher nourrisson de la sagesse,
Toi, le plus grand de tous les rois,
Prête ton oreille attentive
Aux douleurs, à la voix plaintive
D'une fille que l'on poursuit.
N'écoute point la calomnie
D'une aveugle noire furie
Que le crime seul enhardit.
De ces hommes qui t'environnent
Fuis le langage séducteur ;
Fuis ces gens dont les mains couronnent
Le lâche et cruel imposteur ;
Ils se repaissent de carnage,
Le sang est leur plus doux breuvage,
Ils sont les enfants de l'erreur ;
Leurs mains sont encore trempées
Du sang des têtes couronnées
Qu'ils immolent à leur fureur.
Ennemi de la médisance
Et de la lâche trahison
Toi, protecteur de l'innocence1
,
Qui n'écoute que la raison,
De la vertu brillant modèle,
Une jeune fille t'appelle,
Elle réclame ton secours
Malgré les sentiments contraires
De tes trop indignes confrères
Tâche de lui sauver les jours.
Démon, qui sous la forme humaine
A causé des maux si cruels,
Et dont la main si peu chrétienne
Souille tant de fois nos autels,
Girard qui, tout couvert de crimes,
Est sorti du fond des abîmes
Pour commettre tant d'attentats,
Tremblez, Dieu tient en main la foudre
Dont il a su réduire en poudre
Les sacrilèges scélérats.
Mais non, mets bas toutes alarmes ;
Un jésuite doit-il trembler ?
Laisse à l'innocence les armes :
C'est en vain qu'on veut t'accabler.
Va, malgré la rigueur extrême
De la divinité suprême,
Ne crains point un arrêt fatal,
C'est en vain que le feu s'allume
Pour empêcher qu'il te consume
Il ne te faut qu'un Charleval2
.
Tout s'anime, tout se remue,
L'on marchande la liberté,
Ton évasion est résolue.
L'on trafique l'équité,
Les associés de tes vices
Inventent dvers artifices
Pour tâcher de te couronner.
Ils épousent ton infortune,
La cause leur est commune
Pour qu'ils puissent t'abandonner.
En vain par sa rare éloquence
Chaudon3
ramène les esprits.
Ton attentat, ton insolence,
En vain brille dans les écrits,
Semblable à l'airain qui résonne
Sa voix ne peut gagner personne
De ceux qui jugent les horreurs.
L'or que répandent tes confrères
Forcent les âmes mercenaires
A canoniser tes fureurs.
Au moment que je parle,
Grand Dieu ! qu'est-ce que j'entrevois ?
Une monstrueuse cabale
Souille le temple de la foi !
Le désespoir lui sert de guide,
Le lâche intérêt y préside,
L'enfer lui souffle ses poisons.
Par un jugement détestable
L'innocent avec le coupable
Est confondu dans les prisons.
Tigres, qui vendez vos suffrages
Au plus offrant enchérisseur,
Ministres qui par ces brigandages
Entretenez votre fureur,
Lâche Le Bret4
, sénat perfide,
Qui par un arrêt homicide
Mettez l'innocence dans les fers
Quoi, vous vivez ! et le tonnerre
N'est point descendu sur la terre
Pour vous plonger dans les enfers ?
Peuple, que l'infortune touche
D'une noble compassion,
D'un tribunal aussi farouche
Ose punir l'ambition.
Sur ces abominables têtes
Fait éclater mille tempêtes.
Que tout s'arme jusqu'aux enfants.
C'est par le feu, c'est par les armes
Et non par d'inutiles larmes
Qu'il faut venger les innocents.
Que dis-je ? retiens la vengeance
Sa fureur ne peut [déparer ?]
Même en faveur de l'innocence
Il peut encore se déclarer.
Touché de l'attrait agréable
D'un point d'honneur inestimable,
Il peut se laisser attendrir
Et de ses horreurs monstrueuses
Réparer les suites fâcheuses
Par un généreux repentir.
Tendre et malheureuse victime
D'une infernale passion,
Toi, qui sans commettre aucun crime
Touchait à la perdition.
En vain par un arrêt barbare
Un sénat vendu te déclare
Coupable et couverte d'horreurs.
Le public, juge inébranlable,
Porte un jugement équitable
Sur ton innocence et tes moeurs.
Du superbe Aman5
de la France
Cesse d'implorer le secours ;
Il abuse de la puissance
De l'Assuérus6
de nos jours
C'est assez qu'on ait du mérite
Pour que ce barbare Amonite
Livre notre sang au bourreau
Le frère lui demande un frère
Le fils plaint la mort d'un père
Que sa rage a mis au tombeau.
En vain la pesante vieillesse
Pour apaiser son noir courroux
De son âge, de sa faiblesse
Invoque le triste secours
En vain une vierge affligée
Du sein de son père arrachée
Fait parler pour lui ses douleurs,
Sourd à la voix de la justice
Il livre le père au supplice
La fille à d'éternels pleurs.
Tremble, je le vois qui s'élance
Sur un char tout ensanglanté
Le dépit, l'orgueil, l'insolence
Hurlent, assis à son côté.
Ciel ! que de présages sinistres !
Il est suivi par des ministres
Aussi sacrilèges que lui
Contre une si grande puissance
Où pourra la triste innocence
Se trouver un sûr appui ?
Et toi, trop déplorable mère,
De ce lâche persécuteur
Par les larmes, par la prière
Ne crois pas calmer la fureur.
Ses yeux qu'une éternelle rage
Rend insensible au carnage
N'ont point appris à s'attendrir
Allaité par une furie
Rien n'arrête sa barbarie
Rien ne peut jamais le fléchir.
Je vois le ministre fidèle
De sa barbare passion,
D'Argens7
, dont la main criminelle
Trace ta condamnation.
De l'intérêt triste victime,
Les larmes de ceux qu'il opprime
Lui sont des mots pleins de douceur.
Le mensonge habite en sa bouche.
Pour toucher ce monstre farouche
Que pourront, hélas ! tes malheurs ?
Juges, qu'un ordre respectable
A commis pour ce différend,
Quoi, par un arrêt effroyable
Vous pouvez perdre l'innocent
Vous suivez la route perfide
Que vous trace cet hominicide,
Ce déserteur de l'équité.
Ah ! que plutôt une mort prompte
Puisse vous épargner la honte
D'une aussi noire cruauté !
Tout l'univers est en attente.
Il a les yeux tournés vers vous
Saisi de crainte et d'épouvante
Il se prosterne à vos genoux.
Faites triompher la justice
Délivrez-la de la malice
D'un hypocrite directeur.
N'abandonnez pas l'innocence.
Armez-vous contre l'insolence
D'un barbare profanateur.
Mais hélas, que peut la prière
Sur un sénat si furieux
Dans les accès de sa colère
Il ressemble au taureau fougueux
Tel est le baschi perfide
Qui par son regard homicide
Sait assassiner le passant.
Les sons d'une tendre harmonie
Ne font qu'irriter sa furie,
Son dépit toujours renaissant.
Enfants et pères du mensonge,
Cessez de vous inquiéter.
Chassez le remords qui vous ronge :
C'est trop longtemps vous tourmenter.
Ragusse au nom de la justice
En vain demande qu'au supplice
Le scélérat soit condamné.
Ce ne sont que vaines alarmes
Votre or est plein de trop de charmes
Pour qu'il puisse être abandonné.
Prêtre brutal et sacrilège,
Scélérat, sodomite affreux,
Girard que le crime protège,
Dont l'aspect fait pâlir les cieux.
La victoire n'est plus douteuse.
Sors de cette mer orageuse
Qui semblait vouloir t'engloutir.
Dans le triste temps où nous sommes,
La vertu touche peu les hommes
Mais qu'oublient-ils pour s'enrichir ?
Insensibles à tes largesses8
Deux juges font des efforts.
L'éclat brillant de tes richesses
Veut en vain rompre leurs accords.
Mais leur suffrage est inutile,
demeure en repos et tranquille ;
On n'écoute point leurs discours
Mille faucons remplis de zèle.
Accourent venger la querelle.
Que craindre avec un tel secours ?
Enfin voici l'heure fatale
qui doit couronner les forfaits
au gré d'une lâche cabale.
Le Bret prononce son arrêt.
Lorsqu'il était encor novice
Ce magistrat de la justice
suivait autrefois les sentiers.
Mais quel coeur assez insensible
Résiste à l'attrait invincible
De votre or et de vos lauriers ?
D'un crime affreux et détestable
Infâme et lâche rapporteur9
Au gré de cet abominable
Tu n'excites pas ta fureur ?
C'est peu de lui sauver son crime,
Il faut encore qu'une victime
Tombe sous le fer des bourreaux.
Poursuis, satisfais sa vengeance,
le Ciel pour sauver l'innocence
n'a plus ni foudre, ni carreaux
Mais l'on veut tromper l'apparence
Au milieu de l'iniquité,
Sous le masque de l'indulgence
On veut cacher la cruauté.
Par tant de succès enhardies,
L'ambition, la perfidie
Font en vain siffler leurs serpents.
On veut canoniser l'inceste
Et d'un Atrée et d'un Thyeste
Et écraser les innocents.
Vous que la haine jésuitique
Retient dans des cachots affreux,
Malgré leur lâche politique
Vous cessez d'être malheureux.
Sortez de ces lieux homicides
Destinés pour les parricides,
Pour les Jouvencys, les Guignards.
Quel plaisir pour votre patrie
De vous revoir encore en vie
Au milieu de tant de hasards !
- 1M. de Gaufredy, avocat général du parlement d'Aix. (M.)
- 2M. l'abbé de Charleval, conseiller de grand-chambre, un des commissaires nommé par le parlement d'Aix pour l'instruction du procès à Toulon et Aix. (M.)
- 3L'avocat de la Dlle Cadière. (M.)
- 4le premier président du parlement d'Aix. (M.)
- 5le cardinal ministre. (M.)
- 6Le roi. (M.)
- 7Procureur général du parlement d'Aix, déshonnête par son attachement déclaré et ridicule pour les jésuites. (M.)
- 8Lille est seul à proposer les trois strophes suivantes
- 9De Villeneuvre d'Ansouis, totalement dévoué aux jésuites. On prétend que cette affaire lui a valu plus de cinquante mille livres (Lille)
F.Fr.23859, f°182r-185r - BHVP, MS 602, f°203v-207r - Lille BM, MS 69, p. 141-60
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