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Sans titre

Trancardines et trancardins1 ,
Gens gracieux, esprits badins,
Vous qui professez l’allégresse,
Prêtez l’oreille à ma leçon
Et loin de l’austère sagesse
Cherchons à placer la raison.

Franchise et droiture de coeur
Est notre premier point d’honneur.
Quiconque vient demander place
Dans l’aimable société
Doit porter écrit sur sa face :
C’est l’ami de la vérité.

Qu’un trancardin soit bon ami,
Qu’il n’écoute pas à demi
Les cris qui lui frappent l’oreille,
Il faut qu’au moindre qui va là ?
Son amitié se réveille
Et die ausitôt : me voilà.

Chez nous la confraternité
Est la plus noble qualité
Qui nous distingue du vulgaire.
Malheur aux coeurs ambitieux
Qui croient s’ils traitent un autre en frère
Se retrancher quelques aïeux.

Si nos discours les plus plaisants
Renferment des traits médisants,
Qu’il soient déclarés insipides,
Procrivons-les dès aujourd’hui
De gloire soyons tous avides,
Mais non pas de celle d’autrui.

Qu’aucun de nos frères ou soeurs
N’éprouve de vives ardeurs,
Mais qu’un innocent badinage
Fasse notre félicité.
Trop d’amour est un esclavage
Et nous aimons la liberté.

Le convive à table placé
Se trouvera débarrassé
Des soins qui traversent la vie.
Point de ces hommes inquiets
Dont la tête est toujours remplie
De mille frivoles projets.

Sur les affaires de l’État
Jamais entre nous de débats.
Tel sur cette matière brille
Qui pour son indiscrétion
De son repas à la Bastille
Va faire la digestion.

Pour en revenir aux bons mots
Nous ne les dirons qu’à huis clos
Sans que d’autres en puissent rire.
Les plus innocents tours d’esprit
Sont toujours sitôt qu’ils tranpirent
Avec malignité redits.

Sur la bulle Unigenitus
Entre nous, confrères, motus.
Surtout n’y cherchons point à mordre
Le pape est infaillible ou non
Mais le clergé du second ordre
Ne saurait faire aucun canon.

Ainsi fut partout arrêté ;
De toute la société
C’est le résultat unanime.
Tout postulant sera proscrit
S’il est ici quelque maxime
A laquelle il n’ait point souscrit.

  • 1Surintendant Trancard, gentilhomme de Mgr le comte de Toulouse, où s’assemblaient plusieurs des jeunes seigneurs que l’on qualifiait à ce sujet de trancardines pour le féminin, et trancardins pour le masculin.

Numéro
$1691


Année
1719 (Castries) / 1720 / 1722 / 1734




Références

F.Fr.15131, p.319-24 - Arsenal 2931, f°20v-23r - Arsenal 3115, f°209r-210v -Mazarine Castries 3982, p.421-24 - Lyon BM, MS 1552, p.187-89 - Toulouse BM, MS 856, f°22v-25r


Notes

$0506, $1691 et $1692 forment un étrange ensemble, qu’un renvoi à un « surintendant Trancard » n’éclaircit guère. L’un propose des Statuts des philosophes en belle humeur ($0506) formant un ensemble de 20 sixains ; l’autre onze sans titre, mais le premier vers (Trancardines et Trancardins) en tient lieu, suivi d’un ensemble de sept couplets sous le titre d’Hymne des Trancardins ($1692). Ils ont douze couplets en commun. $506 présente donc huit couplets originaux et $1691 six. L’inspiration est identique dans les deux cas : éloge d’une société d’égaux raisonnables réunis pour des agapes fraternelles, évitant toutes les querelles du moment, renvoyant par exemple dos à dos molinistes et jansénistes. On pense bien entendu aux statuts d’une confrérie d’inspiration maçonnique. Les dates varient sensiblement: 1720 (Arsenal 2931) / 1722 (F.Fr.9352 /1738 (Clairambault).