Les Dames de la Comédie-Française
Les dames de la Comédie-Française1
La Vestris achète à grand prix
Les bravos de la populace2
;
A force d’art et de grimace
Elle fait applaudir ses cris ;
Elle ne vaut pas, à tout prendre,
Pas un sou…, pas un soupir tendre.
Sainval cadette a des talents,
Elle plaît sans aucunes ruses,
C’est la favorite des muses,
C’est la reine des sentiments ;
Mais elle emploie avec fréquence
Trop de vi…, trop de violence.
Quand sa sœur se possède un peu,
C’est le chef-d’œuvre le plus rare ;
Mais, lorsque son esprit s’égare,
D’un diable en fureur c’est le jeu.
On frémit, elle est redoutable
Comme un con…, comme un connétable3
.
Luzzy obtient avec raison
Les éloges les plus sincères ;
Elle rend tous les caractères,
On l’applaudit à l’unisson.
Mais où Luzzy est précieuse,
C’est en cu…, c’est en curieuse.
Fanier, que chante maint auteur,
Inspire ce qu’ils disent d’elle ;
Toujours vive et toujours nouvelle,
De leur verve excite l’ardeur ;
Et, pour augmenter leur flamme,
Elle fou…, elle fournit l’âme.
Doligny, bravant les amours,
Plaît sans avoir fait parler d’elle ;
Son cœur est pur, son âme est belle,
Elle se rit des vains discours,
En réduisant le cœur des femmes,
Ébranlant, ébranlant leurs âmes4
.
Préville eut d’abord du malheur,
Mais on la connut à l’usage,
Et le public qui l’encourage
Claqua, dans le Dissipateur,
Ce sein jadis si plein de charmes
Et si mou…, si mouillé de larmes5
.
Il reste Bellecour et Drouin,
Dont le théâtre est bientôt quitte ;
Toujours déchirant le mérite,
Le public les connut enfin :
Il fut dégoûté de l’usage
De leur com…, de leur commérage.
Molé, Suin, ne croyez pas
Mérter qu’ici l’on vous chante,
Avec Dugazon l’insolente
Rampez dans le rang le plus bas.
Qu’avec Hus vous alliez, en outre,
Vous alliez… alliez, vous faire f…
- 1Autre titre : Couplets à l’endroit des dames de la Comédie-Française par leur très humble serviteur Luxembourg (Sobriquet de celui qui appelle les carrosses au sortir du spectacle) (F.Fr.13653) - Cette pièce, attribuée au marquis de Champcenetz, fut inspirée sans doute par la querelle de Mme Vestris avec Mlle Sainval qui donna également naissance à un singulier factum, dans lequel les gens de la Comédie‑Française, divisés en deux escadres, selon le parti qu’ils avaient pris étaient censés monter des vaisseaux dont le nom avait été choisi pour former épigramme. Nous empruntons à ce pamphlet les détails relatifs aux actrices désignées dans les couplets ci‑dessus.
- 2Nous n’avons pu nous procurer qu’en ce moment une copie exacte des couplets sur la Comédie-Française, et nous nous hâtons de les insérer ici. — Chanson à l’endroit des dames de la Comédie-Française, par leur très humble serviteur Luxembourg. — Sur l’air, des trois fermiers, C’est bien doux, etc. (Mémoires secrets, 1er novembre 1779b
- 3« J’ai vu jouer Mlles Sainval et Mme Vestris. Les deux premières pleuraient un peu trop constamment, mais elles me semblaient, surtout la cadette, plus tragédiennes que Mme Vestris, qui, toute belle qu’elle était, n’a jamais obtenu de grands succès, si ce n’est dans le rôle de Gabrielle de Vergy, où l’effet qu’elle produisait au dernier acte était déchirant. » (Souvenirs de Mme Vigée‑Lebrun.) (R)
- 4On la dit tribade. (M.) (R)
- 5Elle pleure dans la pièce. (M.) (R)
Raunié, IX, 225-29 - F.Fr.13653, p.20 - Mémoires secrets, XIV, 247-50