Le Déjeuner anglais
Le déjeuner anglais1
J’ai souvent fait réflexion
Que le matin d’une victoire,
Tous les favoris de la gloire
Avaient le sommeil profond :
Ainsi Condé, tel Alexandre,
Aux champs d’Arbelle et de Rocroi,
Dormaient dans la bonne foi
Qu’on devait les attendre.
Monseigneur, il faut vous lever,
Dit Foissi2
, chaud comme une braise,
L’amiral de la flotte anglaise
Vous demande à déjeuner.
Quoi, dit Bourbon, cet hérétique
Vient visiter le Saint-Esprit ?
Par ma foi, sans contredit,
L’aventure est unique
Qu’on s’apprête à le festoyer,
Dit Bourbon à son équipage,
Pour maître d’hôtel de passage
Je choisis un canonnier.
L’amiral arrive et s’étonne
De trouver tout prêt le repas ;
On traite jusqu’aux goujats,
Car Monseigneur l’ordonne.
Pour mieux régaler les Anglais,
On joignit à la bonne chère
Un excellent vin de Tonnerre
Que Mars fit tirer exprès ;
Les têtes anglaises tournèrent
Pour avoir vidé maint flacon ;
Parbleu, le vin était bon,
Mais beaucoup en crevèrent.
Keppel, rentrant sur son palier,
N’avait non plus tête fort saine ;
Soit trop de boisson, soit migraine,
Il tomba dans l’escalier ;
Pour le remettre dans sa route,
Bourbon ordonne en quatre mots
Qu’on allume les falots ;
Keppel n’y voit plus goutte3
.
Raunié, IX,174-75 - F.Fr.13653, p.4-5 - Marseille MS 533, f°33v - Mémoires secrets, XII, 102-04