La Réforme des treize fêtes
La réforme des treize fêtes1
Je vais vous conter, chers amis,
L’article du journal céleste ;
Un ange en mes mains l’a remis,
C’est un des anges le plus prestes ;
Il est daté du mercredi,
Il l’eut jeudi, vint vendredi,
Et me le donna samedi.
Il me dit : J’arrive des cieux :
Ah ! c’est un bacchanal énorme.
On voit mille séditieux
Au sujet de cette réforme.
Les saints qui s’y trouvent compris,
Grands et petits,
Font les diables en paradis.
Chez le plus grand des Tout-Puissants
On vit douze saints d’une bande,
Suivis de milliers d’innocents
Faisant tous la même demande :
Mathias crie en vain à Jésus,
Par quel abus,
Paris ne nous fête-t-il plus ?
Les deux Jacques veulent parler,
La rage leur ferme la bouche,
Ils ne peuvent que bredouiller ;
Après un silence farouche,
Ils sont réduits à bégayer,
A supplier,
Qu’on change le calendrier.
Laurent, sur son gril attaché,
Gémit d’un si triste salaire ;
Barthélemy, tout écorché,
Voudrait que ce fût à refaire :
Il jure en jetant les hauts cris
Qu’à pareil prix,
Il n’y serait jamais repris.
Que l’on me chôme, dit Mathieu,
Ou pour les humains je ne bouge.
Saint Michel crie au fils de Dieu,
Je veux qu’on me récrive en rouge,
Moi qui piétinais sur Satan ;
Monsieur saint Jean,
A bien sa fête une fois l’an.
Philippe et Judas en courroux,
Coadjuteurs en survivance,
N’en sont plus humbles ni plus doux,
Étalent autant d’arrogance ;
Christophe, le moins désolé,
Dit essoufflé,
Je ne serai point persiflé. —
De monseigneur, pauvre patron,
Gros butor, infâme, faux frère,
Penses-tu voir longtemps ton nom
Subsister en gros caractère ?
Comme nous du rang des élus,
Seras exclu,
Répliquent mutins en chorus.
Faisons mieux, ne souffrons jamais
Que nos noms soient en jours ouvrables,
On nous prendrait pour des benêts,
Nous devons être inébranlables ;
Chers confrères, pour seul moyen
Tenons-nous bien,
Et nous pourrons ne perdre rien.
Dans ce temps, I’Éternel entra ;
Il demande : Qui vous désole ?
On croirait être à l’Opéra,
On n’entend pas une parole.
Au lieu de saints, je vois des fous,
Mais qu’avez-vous,
Pour troubler la paix de chez nous ?
Simon commence à pérorer
Et se plaint que Beaumont2
l’abhorre ;
On entend Marcel murmurer,
Martin veut qu’on le déshonore
Un autre accourt tout effaré,
C’est saint André,
Jurant comme un désespéré.
Saint Thomas dit : Sans me vanter,
Je crois en bien valoir un autre ;
Monsieur saint Denis va rester
Parce qu’il fait le bon apôtre ;
Ce saint, quoique décapité,
En vérité,
Est le saint le plus entêté.
Paix, répond la Divinité,
Ou je vous enverrai tous paître ;
Parce que vous avez été
Vous prétendez donc toujours être ?
Rien n’est de toute éternité,
La vanité, la vanité
Sied mal avec la sainteté
- 1On répand aussi une chanson en treize couples sur les treize fêtes supprimées, où l’on plaisante avec une grande irrévérence sur les saints, déjà si maltraités par M. l’archevêque. (Mémoires secrets, 19 mars) - Par un mandement du 12 décembre, l’archevêque de Paris avait ordonné la suppression de treize fêtes du calendrier, et l’almanach royal avait annoncé cette réforme. Mais elle ne s’accomplit pas sans protestation. « On assurait, note Hardy dans son Journal, que le prélat éprouvait de grandes difficultés de la part de son chapitre, par rapport à la suppression de onze fêtes dans le courant de l’année. L’archevêque voulait, disait‑on, substituer aux fêtes supprimées deux nouvelles fêtes, dont celle du sacré cœur de Jésus, et établir un jeûne par chaque vendredi des quatre semaines de l’Avent, ce à quoi son susdit chapitre, ennemi reconnu des innovations, refusait de consentir. »
- 2Christophe de Beaumont, archevêque de Paris. (R)
Raunié, IX, 149-53 - F.Fr.13652, p. 469-73 - BHVP, MS 705, f°234v-237v - Mémoires secrets, XI, 158-61