Les Insurgents
Les insurgents1
Pour amuser notre loisir
Sans blesser la décence2
,
Il est naturel de choisir
Ce que l’on aime en France.
Il faut donc sur un nouveau ton,
Comme notre musique,
Ne parler ici que du con
Tinent de l’Amérique.
Qu’a donc fait certain général,
Dans cette injuste guerre ?
Aux Insurgents fort peu de mal,
Beaucoup à l’Angleterre.
Ces fiers ennemis de Boston,
De honte ou de colique,
Meurent à la porte du con
Tinent de l’Amérique.
Il en coûte bien des écus
A plus d’un royaliste,
Le tout pour ne voir que des c…
Que l’on suit à la piste ;
Mais malgré tant d’exploits, dit-on,
Le Sire britannique
N’aura jamais un poil du con
Tinent de l’Amérique.
Fit-on jamais, en pareil cas,
Plus brillante retraite ?
Aussi ne le cache-t-on pas
Dans certaine gazette :
Chacun, parlant de Washington
Et de sa politique,
Trouve qu’il est digne du con
Tinent de l’Amérique.
Pourquoi voudrait-on abolir
Le droit de la nature ?
A Londres on sait bien jouir
Et même avec usure :
La liberté n’est pas un don
Qu’aisément on trafique ;
Laissons-en donc jouir le con
Tinent de l’Amérique.
- 1Les colonies anglaises de l’Amérique du Nord, irritées des impôts auxquels la métropole prétendait les assujettir, s’étaient soulevées contre elle, en proclamant l’indépendance des Etats‑Unis d’Amérique, et avaient engagé une guerre dont l’issue devait consacrer leurs revendications. (R)
- 2« Si les Français rient de leurs propres maux, on ne doit pas s’étonner qu’ils rient de ceux des autres. On a fait ici une chanson sur les Insurgents, qui contient succinctement tous les faits relatifs à cette guerre. On peut la regarder comme un vaudeville politique dont la plaisanterie consiste dans le refrain. Suivant l’air de Joconde, sur lequel il est, on appuie fort et l’on reste sur la première syllabe du mot Continent. C’est la chanson à la mode qui amuse beaucoup la ville et la cour. » (Mémoires secrets)
Raunié, IX,119-21 - F.Fr.13652, p.502 - Mémoires secrets, X, 68-70