Les Prudes
Les prudes du Siècle1
Retirez-vous, de grâce,
Thiars, quittez Séran,
Abandonnez la place
A monsieur d’Autichamp :
Il vous est préféré en faveur de son âge,
Il ne voit rien et vous parlez,
Avec esprit vous racontez,
Mais il fait davantage.
Marigny sans colère
Écoute son amant ;
Conflans, tenant son verre,
Promet d’être constant,
De renoncer enfin à son affreuse ivresse,
Au mauvais ton et aux catins,
D’être, comme les paladins,
Rempli de sa tendresse.
L’infortunée de Blotte
Longtemps s’était flattée ;
Mais la cour la ballotte,
Saint-Germain est nommé.
De Castries comptait bien entrer au ministère ;
Des vieux soldats c’était la fin,
Et l’armée prenait pour refrain :
Adieu le ministère.
Duchesse incestueuse,
Grammont, tu dois trembler,
Ta haine infructueuse
Ne peut nous accabler.
Je brave le poison : c’est ta seule vengeance ;
Ton frère n’est qu’un avorton ;
Pour nous faire baisser le ton
Il n’a plus de puissance.
Martinville est charmante
Et fera son chemin ;
Si l’amour la contente,
Jugez de son destin.
Attendant ce moment, Poyanne s’en occupe ;
Il est aimable, il est galant,
Bien retapé et bien payant,
Mais il n’est que sa dupe.
Crenni fait la coquette
Et veut encor danser :
Sa taille rondelette
Souvent la fait glisser.
Alors le Fénelon la relève en cadence.
Chacun se dit du même ton :
Elle est trop grosse et lui trop rond,
Mais toujours va qui danse.
Bouzonville, à l’entendre,
Renonce à ses amants ;
Mais un feu sous la cendre
Se rallume aisément.
Choiseul pour un instant fixa cette coquette ;
Il est phraseur sans jugement,
Parjure, indiscret, inconstant,
Et voilà sa recette.
Tavanne est bien surprise
De son événement :
Au pied du trône assise,
Elle fit un enfant.
A sa beauté le Roi rendit un simple hommage ;
Depuis ce temps, elle est restée
Catin, bégueule, hébétée ;
Voilà son apanage.
Sous les traits de Mégère
Reconnaissez Duras ;
Elle fait la sévère,
Mais pourtant ne l’est pas.
Son cœur est un amas de vice et de luxure ;
Jamais on ne vit ici-bas
Plus de défauts et moins d’appas
Qu’en cette créature.
Chamboran prend l’air sage,
Mais ce n’est qu’un semblant ;
On sait bien qu’à son âge
L’on n’est pas sans amant.
Un certain Bermondet, puis un fort joli prince
Ont eu l’essai de ses faveurs,
Et Séguier sait charmer son cœur
Voyageant en province.
Précieuse Jamaïque,
Apprenez à parler ;
Pour être satirique,
Du moins sachez causer ;
Luxembourg vous dira comment il faut s’y prendre ;
Vous inoculant son esprit,
Tâchez de le mettre à profit ;
Il en a à revendre.
Boufflers met du mystère
A cacher son amant ;
Chacun a sa chimère.
Mais on nous dit pourtant
Que Ségur a trouvé le moyen de lui plaire,
Et qu’en abjurant pour jamais
Monsieur de Guine et Beaumarchais,
Son cœur était sincère.
Julien à sa maîtresse
Un jour parlait ainsi :
Vous êtes une duchesse
Et moi un sans-souci ;
Souvent un comédien devient roi sur la scène ;
Regardez-moi sur ce ton-là.
La pauvre femme soupira ;
Montmorency fut reine.
- 1Nos méchants de société sont dans l’usage de composer à la fin de l’année, sous le nom de Noëls, des couplets dans lesquels la médisance ou la malignité s’exercent sur le compte des femmes et des hommes les plus à la mode. Voici ceux des couplets de l’année qui m’ont paru le moins mal faits. » (CLS.) Ces couplets furent attribués au marquis de Louvois. (R)
Raunié, IX,65-69 - BHVP, MS 699, f°16r-18v (variantes) - CLS, 1776, p.7-8 - CSPL, II, 308-11
Noël