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Noëls pour l’année 1774

Noëls pour l’année 17741
D’une vierge féconde
L’enfantement, dit-on,
Attira bien du monde
A Jésus, à l’ânon.
Nous étouffons ici, dit l’enfant à sa mère,
Renvoyez-moi ce Parlement2 . —
Non, dit Maupeou, tout doucement,
A l’âne il pourra plaire.

Oh ! dit l’âne, j’en doute ;
Je renonce aux procès ;
Voulez-vous qu’il m’en coûte
Autant qu’à Beaumarchais ?
Pour eux je n’entends point faire aucun sacrifice.
Mais, dit La Blache3 , il le faut bien ;
Croyez-vous qu’il n’en coûte rien
Pour gagner la justice ?

Nous avons peu de gages,
Reprit l’auguste corps,
Et pour nos équipages
Il nous en faut de forts.
Nous pouvons exiger ces petits sacrifices :
Au plus offrant nous accordons
Ce qu’à l’autre nous refusons ;
Cela tient lieu d’épices.

ciel ! quelle impudence,
Dit Goëzman l’imposteur ;
J’en demande vengeance,
Je suis le rapporteur.
Parbleu ! je ne prends rien, ma femme peut le dire.
A ces mots, le bœuf et l’ânon
Firent l’interrogation
Qui nous a tant fait rire.

La dame, un peu féroce,
D’abord avec dépit
Répond que c’est atroce,
A tout ce qu’on lui dit ;
Mais bientôt, se coupant dans toute sa réplique,
Dit à sa confrontation
Que la perte de sa raison
Vient d’un état critique.

Lejay4 contre la porte
Restait comme un nigaud ;
Qu’est-ce donc qu’il apporte ?
Dit le bœuf un peu haut.
Goëzman répondit : Il faut que l’on suppute,
Pour ma justification,
La bonne déclaration
Dont j’ai fait la minute

Avec son humeur noire
Baculard5 s’approcha,
Présentant un mémoire
Dont l’âne fort glosa.
Adieu, mes compagnons ; j’ai peur de la gourmade,
J’aime mieux ne jamais parler
Que d’être encor le conseiller
D’une telle ambassade.

De la dernière sorte
Certain homme arriva,
Criant : voici la porte,
Holà ! cocher, holà !
Quès aco, dit Jésus, quels sont donc ces carrosses ? —
C’est un corsaire, un maltôtier,
Fripier d’écrits, un fourrier
Traîné par quatre rosses6 .

J’apporte la Gazette,
Dit Marin hautement.
Ah ! mon Dieu ! qu’elle est bête,
Dit Joseph en bâillant :
Non, je n’ai jamais vu de sottises pareilles ;
Qu’il retourne à la Ciotat7 ,
Sur le petit orgue il pourra
Étourdir les oreilles.

Pour le coup, j’en rappelle,
Cria le grand cousin8 ,
Au haut de mon libelle
Je vous parle latin.
Ouf ! s’écria Jésus, au diable la personne ;
L’avorton et le sacristain
Ont un goût si fort de marin,
Que l’odeur empoisonne.

Pour assoupir l’affaire,
Lors Goëzman poliment
Vint offrir à la mère
De tenir son enfant.
Serait-ce sur les fonts ? Ciel, quelle audace extrême !
Monsieur, si vous ne changez de nom,
J’aimerais mieux que le poupon
Se passât de baptême.

Le président de même9 ,
Avec ses yeux de bœuf
Et son esprit de même,
Porte un arrêt tout neuf.
Donnez-m’en, dit l’ânon ; j’en veux un exemplaire,
Suffit qu’il n’ait pas de bon sens,
Je le lirai de temps en temps,
Pour m’exciter à braire.

Le Sauveur dans la presse
Beaumarchais reconnut ;
Cet homme m’intéresse,
Dit-il, lorsqu’il parut ;
En vain Châteaugiron10 contre lui se rebecque.
Qu’il prenne place auprès de moi,
Ses mémoires seront, ma foi,
Dans la bibliothèque.

Lors un ex-militaire
Dont on sait la valeur11 ,
Pour Goëzman le faussaire
Digne solliciteur,
Voyant près du Sauveur Beaumarchais à sa place,
Dit en jurant ocmme un païen :
Gents du guet poussez ce chrétien,
Il m’a fait la grimace.

Jésus s’écrie : Arrête,
Modère ton ardeur,
Capitaine Tempête ;
Surtout de la douceur.
Pour tes concitoyens sois aussi débonnaire
Et sois aussi doux dans Paris
Qu’on te vit pour les ennemis
Quand tu fus militaire.

Joseph au ministère
Dit alors de sortir,
Et qu’après cette affaire
L’enfant voudrait dormir
Ah ! c’est donc sur ce ton qu’on nous met à la porte,
Quoi ! Beaumarchais seul restera,
Mais son Mémoire on brûlera.
L’auteur dit : peu m’importe.

Oh, troupe inamovible
Retourne dans Paris ;
Ce coup sera sensible
A tous les bons esprits
La bêtise chez vous a passé la mesure ;
Peut-être que cet accident
Nous rendra l’ancien Parlement,
A force de censure.

  • 1Ces noëls étant exclusivement consacrés aux personnages qui figuraient dans le procès de Beaumarchais, c’est dans les Mémoires du célèbre écrivain que l’on trouvera l’explication des allusions qu’ils renferment. (R)
  • 2Etabli le 13 avril 1771 et toujours subsistant (Hardy)
  • 3Adversaire de Beaumarchais. (M.) (R)
  • 4Libraire rue Saint-Jacques (Hardy)
  • 5 D’Arnaud Baculard, poète prenant la qualité de conseiller d’ambassade (Hardy).
  • 6 allusion au Sr Marin censeur royal, auteur de la Gazette de France, homme peu estimé (Hardy).
  • 7 petite ville de Provence patrie du Sr Marin, où il avait fait fonction d’organiste (Hardy)
  • 8 Bertrand d'Airolles aussi originaire de Provence négociant à Paris et ami du Sr Marin (Hardy)
  • 9Berthier de Sauvigny, ancien intendant de Paris, premier président du nouveau Parlement. (M.) (R)
  • 10Leprêtre de Châteaugiron, président à mortier du nouveau Parlement, très opposé au sieur Beaumarchais. (Hardy.) Quoique récusé par Beaumarchais, il avait pris séance au Parlement lors du prononcé du jugement.
  • 11 M. de NicolaI, autre président (Hardy)

Numéro
$1356


Année
1774




Références

Raunié, VIII, 307-13 - F.Fr.15034, p.547-51 - BHVP, MS 705, p.178-86 - Hardy, III, 391