Noëls pour l'année 1771
Noëls pour l’année 1771
Voici l’Avent, chantons Noël,
Le fils de Dieu descend du ciel
Par les flancs d’une vierge mère.
Lère, la, lère lon lère,
Lère, la, lère lon la.
Des souverains de chrétienté
Un bon grand tiers s’est ajusté
Pour l’aller voir dans sa chaumière.
Suivi d’une brillante cour,
Louis1
paraît au point du jour,
Encor bien vert pour un grand-père.
Le roi d’Espagne gravement
D’une montre amuse l’enfant2
,
Et rend grâce au ciel du mystère.
Le Portugais, saisi d’effroi,
Fait valoir ses actes de foi
Aux Loyolistes si contraires.
L’Hollandais, triste, avare, actif,
Veut un privilège exclusif
Pour rendre au Japon les mystères3
.
Monsieur de Poniatowski4
,
Roi d’amour, vient montrer aussi
Sa couronne quoique légère.
La czarine veut, à son tour ;
Au nouveau-né faire la cour ;
Mais à Joseph ça ne peut plaire.
Voyant près d’elle les Orlous5
,
Il tremble, hélas !… car, comme époux,
Il craint leur ardeur meurtrière.
Le Danois, par innovation,
Veut réformer jusqu’au bouillon
Qu’on apporte à la bonne mère6
.
Les Suisses ont grossi le train
Du prince, qui, dans le chemin,
A payé leur dépense entière.
Ayant grand’peur des revenants,
Le Sarde7
, agité de tourments,
Croit à la crèche voir son père.
Clément quatorze est sur les bras
De ses bons amis les castrats
Qui le portent avec sa chaire8
.
Admirant son humanité,
Les reines, d’un air enchanté,
Embrassent toutes le Saint-Père.
Jésus tremble, il lui faut du feu ;
Thérèse9
le réchauffe un peu,
Et veut être sa ménagère.
Le Prussien10
assez librement
Voulant faire son compliment,
Pousse et fait choir la chambrière.
L’enfant lui dit bien doucement :
Mon frère, il me paraît vraiment
Que le sexe ne vous plaît guère.
Je ne suis point de ces messieurs,
Répond-il ; contre elle, d’ailleurs,
J’ai droit assez d’être en colère.
Car, sans doute, il me tient au cœur
De voir, même ici, son ardeur
A me tailler quelque croupière.
Au reste, apaisez-vous, Seigneur,
Et pour elle n’ayez frayeur ;
Elle n’a tombé qu’en arrière.
Aux femmes il faut d’autres coups
Pour les faire crier aux loups ;
La plus sage est dure au derrière.
Et puis, pour vous chauffer les doigts,
A mon neveu le Suédois11
Je ferai quitter la tanière.
Il présente à l’enfant bénin
George trois12
, monsieur son cousin,
Qui fournit au feu la matière.
A la silhouette13
, traits pour traits,
L’Anglais dessine les portraits
De la sainte famille entière.
Le Prétendant, d’un ton fort doux,
Dit à Jésus : Méfiezvous
De ces joueurs de gibecière.
L’enfant répond : Va, ne crains pas ;
Ces deux Germains14
en mes États
Ne feront jamais de poussière.
Brandebourg, entendant cela,
Lui dit : Mon beau Jésus, oui da !
Et vous le prend par la lisière.
Il se rend maître de l’enfant,
Il le mène tambour battant
Et le traite à la militaire.
Voyant que ce n’est point un jeu,
Tous les princes font flamme et feu,
Et le citent au ban arrière15
.
Mais Fédéric16
, ce fier mutiné,
Avec Jésus va son chemin,
Et leur répond à sa manière :
Lère, la, lère, lon lère,
Lère, la, lère, lon la.
- 1Le roi de France. (M.) (R)
- 2Le roi d’Espagne a le goût le plus particulier pour l’horlogerie, dont il a un cabinet précieux auquel il donne chaque jour beaucoup de temps. (M.) (R)
- 3Le Hollandais est le seul peuple chrétien qui commerce au Japon. Il s’est acquis cette prérogative en se soumettant tout à la fois, lorsqu’il débarque, à fouler aux pieds le crucifix et à se rendre incontinent en prison pour y rester jusqu’à l’instant même du départ. Des agents du gouvernement sont chargés de négocier et de conclure tous les marchés des Hollandais, qui en déposent la valeur en arrivant. On peut convenir, sans être scrupuleux, que des hommes qui, pour de l’argent, consentent des conventions de cette nature, sont des infâmes dignes de l’exécration universelle. Le Hollandais, bien connu, passera en général pour tel à tous les yeux. Chez lui, tout est commerce ; les vertus et les vices y sont, comme le tabac, un objet de spéculation et de trafic, et rien autre chose. En 1762, sortant entre midi et une heure de la Bourse d’Amsterdam avec le chevalier de Ménésez, Portugais, qui s’y était entretenu en italien avec un banquier, un honnête Hollandais nous proposa un jeune garçon du même ton que si c’eût été une lettre de change ; d’où l’on peut conclure, d’après les principes de Montesquieu, qu’un peuple entièrement commerçant, n’admettant par cela même aucune vertu morale, est par conséquent le peuple le plus corrompu, comme aussi le plus infâme. (M.) (R)
- 4M. de Poniatowski, palatin de Pologne, élu roi de cette république par les efforts de Catherine II, souveraine des Russies, dont il avait été l’amant. Cette impératrice profita depuis de la bonhomie et de la faiblesse de ce prince pour, d’accord avec l’empereur d’Allemagne et le roi de Prusse, démembrer son royaume et se partager entre eux un tiers environ de l’État polonais. (M.) (R)
- 5Orloffs dit Orlous. On tient de bon lieu qu’à Florence, dans l’hiver de 1771, l’un des comtes Orloff étant ivre eut le malheur, pour ne rien dire de plus, de convenir qu’il avait fait mourir de sa propre main le dernier empereur de Russie, Pierre III, dans sa prison. Ce prince, dans un moment où il croyait n’avoir que des amis auprès de sa personne, s’abandonna à sa passion pour le vin et à la débauche, en quoi il fut bien secondé par les traîtres qui paraissaient se livrer avec lui à cette orgie. Privé de sa raison et de ses facultés, il s’endormit. Orloff, trouvant belle l’occasion de faire sa fortune par un parricide aussi lâche qu’aisé, en profita. Il se jette sur son maître et son ami qu’il étrangle avec une serviette. La czarine, débarrassée d’un mari qui, le premier, avait voulu se défaire d’elle, servie de bonheur et de vitesse, ne dut pas même faire de recherches sur la prétendue maladie et le genre de mort de l’empereur. Il fallait qu’elle s’en rapportât même sans examen, à tout ce qu’on lui disait à cet égard, sans quoi cette tragédie eût été suivie d’une révolution générale dans l’empire et d’une boucherie universelle dans Pétersbourg. La conduite de l’impératrice peut être justifiée aisément et fort simplement par la loi du talion et par le droit de récrimination ; mais rien ne peut rendre moins odieuse la conduite d’Orloff. Il est même surprenant qu’il n’en ait pas reçu, comme l’assassin du prince Ivan, la juste récompense ; et plus surprenant encore que son indiscrète ivrognerie ne lui ait pas été aussi funeste qu’à son malheureux maître. (M.) (R)
- 6Les gazettes, depuis deux ans, en parlant chaque jour des continuels changements dans le gouvernement du Danemark, expliquent assez le sens de ce couplet. (M.) (R)
- 7Placé sur le trône par l’abdication de Victor‑Amédée le roi de Sardaigne lui refusa non seulement la couronne qu’il redemandait par des motifs de conscience, mais encore et précisément à ce sujet, il le priva de la liberté jusqu’à sa mort. Débarrassé, par le système actuel et politique de l’Europe, des agitations inutiles de l’ambition et de celles, plus inutiles encore, que lui donnaient son amour et ses talents pour la guerre, rendu ainsi à lui‑même, ce prince est, à ce qu’on assure, tellement tourmenté par le souvenir de sa conduite avec son père, que réellement il croit sans cesse le voir prêt à l’accabler de reproches et de malédictions. (M.) (R)
- 8Par une belle ordonnance, qui eût été très plaisante sous le pontificat de la papesse Jeanne, Clément XIV a interdit pour jamais, dans ses États, la barbarie de priver les hommes de la virilité, pour flatter, par des sons incomplets et plats, le mauvais goût et les oreilles épuisées de quelque vieux luxurieux. (M.) (R)
- 9Thérèse d’Autriche, impératrice d’Allemagne. (M.) (R)
- 10Ce vers et le suivant font allusion au goût ultramontain dont on a taxé faussement le roi de Prusse d’être entiché. Personne plus que ce prince ne porta des hommages plus vifs au beau sexe. Sa passion à cet égard, ses excès même, et un accident peu connu dont les suites devinrent funestes, le rendirent absolument inhabile, dès avant qu’il montât sur le trône, car à cette époque il se nomma un héritier, assuré qu’il était de ne pouvoir en procréer. (M.) (R)
- 11Le roi de Suède. (M.) (R)
- 12Grâce aux soins politiques et moraux de milord Buth, son gouverneur, le roi d’Angleterre dessine bien et même très supérieurement à ce qu’on peut attendre, non pas seulement d’un souverain, mais même d’un particulier qui n’en fait pas son état. Son goût et ses talents à cet égard qu’il exerce chaque jour fort régulièrement, lui ont inspiré l’idée de faire ériger à Londres une académie de dessin et une autre à Rome, à l’instar de celle de France. (M.) (R)
- 13Chacun sait assez ce que c’est qu’un portrait à la silhouette. A ce sujet, on a cru qu’il pouvait être plaisant de faire suivre à un roi d’Angleterre une mode qui a pris naissance à la cour de France et qui a eu son règne avec la même fureur qu’autrefois les bilboquets et les pantins. (M.) (R)
- 14Ce n’est pas de cousin germain mais d’Allemand dont il est ici question. (M.) (R)
- 15Ban‑arrière pour arrière‑ban. Le roi de Prusse sans s’en inquiéter davantage ni qu’il en soit rien résulté, fut cité et mis à celui de l’Empire pendant tout le cours de la dernière guerre. (M.) (R)
- 16Le même prince ne prononce et ne signe jamais Fréderic, mais Fédéric seulement, qu’il trouve moins dur à l’oreille ; cela est plus bref aussi et c’est quelque chose pour ceux qui calculent tout. (M.) (R)
Raunié, VIII 231-38 - F.Fr.13652, p.69-74 et 74-79 (notes)
Notes très abondantes dans F.Fr.13652.