Noëls pour l’année 1770
Noëls pour l’année 17701
D’une mère pucelle,
Parmi nos beaux esprits,
L’étonnante nouvelle
Fit grand bruit à Paris :
Consultant sa raison,
L’un y croit, l’autre en glose.
Messieurs, dit Daubenton,
Don, don,
Pour juger ce fait‑là,
La, la,
Touchons du doigt la chose.
De cette énigme obscure
Perçant la profondeur,
Buffon2 , de la nature
Soudain connut l’auteur.
Le céleste poupon
Alors dit à sa mère :
Quoi ! pour ce Bourguignon3 ,
Au ciel, comme ici‑bas,
Il n’est point de mystère !
La France à ce miracle
Bientôt ne croira plus,
Disait d’un ton d’oracle
Monsieur Dortidius4 :
La révolution
Est due à mon génie ;
J’ai pour moi la raison
Et son Nec plus ultra,
Notre Encyclopédie.
Avec son Bélisaire
Marmontel s’approcha ;
Dans les bras de sa mère
Le Sauveur se cacha.
De ma religion
Quel ennemi profane !
Dit tout bas le poupon.
Ah ! ma foi, c’est bien là
Le coup de pied de l’âne.
Tenant un exemplaire
De Warwick à la main,
En reniant Voltaire,
La Harpe entra soudain.
De sa présomption
La dose est un peu forte ;
Mais son Timoléon,
Son Gustave un peu plat,
Lui fit fermer la porte.
Beaumarchais5 , dans l’étable,
Désirant d’être admis,
Disait d’un ton capable,
Ouvrez aux Deux Amis6 ,
Pour les gens du bon ton
Et non pour le parterre,
J’ai fait ce beau sermon, don, don:
Il me tarde déjà, là, là,
De supplanter Molière.
Sifflant en petit‑maître,
On vit entrer Dorat ;
Il tâchait de paraître
Et bel esprit et fat ;
Il amusa, dit‑on,
Et l’enfant et la mère,
Qui riaient de son ton ;
Mais sitôt qu’il parla
L’âne se mit à braire.
Vers l’auguste chaumière,
Aux cris de l’animal,
On voit courir Le Mierre,
Joyeux d’un tel signal ;
Sa voix, à l’unisson,
Étourdit l’assistance :
Infortuné poupon,
Quoi ! faut‑il que déjà
Ta passion commence ?
Faisant d’humbles excuses5 ,
D’ennuyer ses lecteurs,
A l’Almanach des muses,
Cherchant des protecteurs,
Sautreau vint à l’étable
En montrer la préface,
Et l’honnête Grison, don, don,
De cet ouvrage–là, là, là,
Reçut la dédicace.
Voyant cette affluence,
Le chantre de Manon7
Accourt en diligence,
Malgré son poil grison ;
Mais au divin poupon,
Bien loin de rendre hommage,
Il parut mécontent, dit‑on,
De n’être arrivé là
Que pour voir un visage8 .
D’une mine un peu niaise,
Mais d’un air renchéri,
S’appuyant sur Thérèse9 ,
Entra Riccoboni,
Se plaignant qu’à son nom
Un écrivain profane
Avait fait un affront,
Et feignant pour cela
De ne point lorgner l’âne.
Courant à perdre haleine10
Au céleste hameau,
On vit le grand Sedaine
S’approcher du berceau.
Il parut si bouffon,
Quoiqu’il se crût un sage,
Qu’il fallut du poupon,
Dès qu’il se présenta,
Changer tout l’équipage.
Sedaine vint ensuite11 ;
Se disant bel esprit,
Ilvantait son mérite,
Mais la vierge lui dit:
Soyez plutôt maçon
Que d’ennuyer le monde
Et d’aller sans raison, don, don,
Rater à l’Opéra, là, là,
La Reine de la Golconde.
Tout au sortir de table,
Fréron, d’un air joyeux,
Accourut à l’étable ;
Il connaissait les lieux.
L’âne, en voyant Fréron,
Fit d’abord la grimace,
Croyant qu’Aliboron
N’était arrivé là
Que pour prendre sa place.
Dieu ! quelle fourmilière
Accourt de toute part !
Bret, Mathon, la Morlière,
Sautreau, Légier, Suard,
Quoi ! de ce peuple oison
La France est donc la mère ?
Que d’amis pour l’ânon ;
Le bœuf qui les vit là
Trembla pour sa litière.
A grands coups d’étrivière
Poursuivant ce troupeau,
On vit dans la chaumière
Un vengeur de Boileau.
Quel vacarme fit‑on
Au seul nom de satire !
Quel bruit ! quel carillon !
Combien on clabauda !
Jésus se prit à rire12 .
Par un choix politique,
Pour son représentant
La troupe académique
Nomma Simon le Franc.
Il composait, dit‑on,
Sa propre apothéose.
Quoi ! notre ami Simon,
Dit Jésus un peu bas,
Croit être quelque chose13 ?
La bonne compagnie
Souvent a ses défauts :
L’enfant, disait Marie,
A besoin de repos.
O prodige soudain !
O merveille ineffable !
On vit entrer Saurin et Blin14 ;
Aussitôt tout bâilla,
La, la,
Tout dormit dans l’étable.
- 1Les noëls n’étaient guère consacrés jusqu’ici qu’aux personnages politiques et aux courtisans, maintenant 1e rôle prépondérant joué par les encyclopédistes et les gens de lettres les désigne à leur tour aux traits de la satire. (R)
- 2 Fameux naturaliste (CLK)
- 3 M. de Buffon est de Bourgogne (CLK).
- 4Il s’agit ici de Diderot. (R)
- 5 a b La strophe ne se trouve que dans la CLK.
- 6 Titre de la rapsodie larmoyante qui se joue aujourd’hui sur le théâtre de Molière. L’auteur a trouvé le moyen d’y être encore au–dessou d’Eugénie.
- 7 M. d’Arnaud (Baculard), auteur de l’épître si connu au [cul] de Manon (CLK).
- 8 On sait que M. Baculard a voué son admiration exclusive à ce cul, dont il a dit:« Ce cul divin, ce cul vainqueur, / Il a des autels dans mon cœur. » (CLK)
- 9 Apparemment Madame Thérèse Biancolelli, soupçonnée d’avoir eu part aux romans attribué à Madame Riccoboni (CLK).
- 10 Version de Raunié pour la strophe consacrée à Sedaine.
- 11 Version de la CLK pour Sedaine.
- 12 Allusion à ce vers de Boileau: « Et le Roi que dit–il? Le Roi se prit à rire. » (CLK).
- 13Épigramme de Voltaire (CLK)
- 14 C’est cet écrivain imperceptible dont il est dit dans la Dunciade: « Mais je ne pus, malgré l’art de Merlin, / Apercevoir ni Du Rosoy, ni Blin. » (CLK)
Raunié, VIII,192-98 - CLK, 1770 - Poésies satyriques, II, p.1-8 (incomplet) - Satiriques du dix-huitième siècle, p.206-08 (incomplet)