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Quête pour une tragédie

Quête pour une tragédie1
Le grand bruit de Paris, dit-on,
Est que mainte femme de nom
Quête pour une tragédie
Où doit jouer Frétillon.
Pour enrichir un histrion2 .
Tous les jours nouvelle folie :
Le faquin,
La catin
Intéresse
Baronne, marquise et duchesse.

Pour un fat, pour un polisson,
Toutes nos dames du bon ton
Vont cherchant dans le voisinage.
Vainement les refuse-t-on.
Pour revoir enfin la Clairon
Dans Paris elles font tapage. La santé
De Molé

Les engage,
Elles ont grand cœur à l’ouvrage.

Par un excès de vanité,
La Clairon nous avait quitté,
Et depuis ces temps elle enrage
Et sent son inutilité ;
Comptant sur la frivolité,
Elle recherche les suffrages
Du plumet,
Du valet,
Pour un aussi grand personnage !

Le goût dominant aujourd’hui
Est de se déclarer l’appui
De toute la plus vile espèce
Dont notre théâtre est rempli.
Par de faux talents ébloui3 ,
A les servir chacun s’empresse.
Le faquin,
La catin
Intéresse Baronne, marquise et duchesse.

Molé, plus brillant que jamais,
Donne des soupers à grands frais,
Prend des carrosses de remise,
Entretient filles et valets.
Les femmes vident les goussets
Même des princes de l’Église4 ,
Pour servir
Son plaisir.
La sottise !
Elles se mettraient en chemise.

Assignons par cette chanson
De chacun la punition ;
Pour ses airs et son indécence,
D’abord à Molé le bâton ;
Ensuite pour bonne raison,
Comme une digne récompense,
A Clairon,
La maison
Ou la cage
Que l’on doit au libertinage.

  • 16 février. Chanson sur Molé et Mlle Clairon (Mémoires secrets)
  • 2Cette chanson et la suivante furent faites au sujet d’un spectacle qui fut donné à Paris, pour et au profit du nommé Molé, acteur, dont le public et les femmes surtout étaient fort épris. On payait un louis le billet au moins. C’était pour payer, disait‑on, les dettes que cet acteur avait contractées pendant une longue maladie. Mlle d’Aumont, duchesse de Villeroy et Mlle de Hautefort, duchesse de Fronsac, s’en allaient quêtant partout et distribuant des billets, la demoiselle Clairon promit de jouer pour attirer plus de monde ; il y eut des billets payés jusqu’à 25 louis et beaucoup à 10, à 12 et à 15. Sur quoi je ne puis m’empêcher de remarquer, non pas sans doute à l’honneur du public, que lorsque cinq ou six ans auparavant les comédiens français, par reconnaissance pour la mémoire du grand Corneille, donnèrent une représentation de Rodogune, au profit de la petite‑nièce du grand poète, le billet le plus cher fut payé 5 louis et il y en eut fort peu payés au-delà du prix ordinaire. (M.)
  • 3« Cet acteur, remarquait Grimm, joue avec beaucoup de succès dans le haut comique. Son jeu n’est pas très varié, mais il est plein de chaleur et d’agrément. On ne peut pas dire que Molé soit un comédien sublime, mais dans l’état de disette où nous sommes, c’est un acteur essentiel à la Comédie-Française… On dit qu’il a beaucoup de suffisance et de fatuité. »(R)
  • 4Le prince Louis de Rohan, coadjuteur de Strasbourg, l’archevêque de Lyon, l’évêque de Bourges et l’évêque de Saint‑Brieuc ont souscrit. (M.)(R)

Numéro
$1255


Année
1767




Références

Raunié, VIII,81-84 - F.Fr.13651, p.286-88 - F.Fr.15142, p.42-45 - Mémoires secrets, II, 701-03