Discours du Roi au Parlement et au Conseil
Discours du Roi au Parlement et au Conseil1
Voulant savoir parfaitement
Ce qu’on m’a fait connaître,
Il y a déjà plus d’un an,
Sur cinq prétendus traîtres2
,
J’avais ordonné un procès
De forme un peu bizarre :
Vous en allez voir le succès,
Qui vous paraîtra rare.
Par le compte qu’on m’a rendu,
Cette maudite affaire,
Quoique je l’eusse deux fois vu,
M’a paru singulière ;
Sur ce, je suis déterminé
Pourtant à ne rien faire ;
Vous n’en serez point étonné
C’est assez ma manière3
.
J’ai l’âme bonne, voyez-vous,
Et, quoique je sois en courroux,
Me faut-il me donner au diable
Pour aller trouver des coupables ?
Calonne4
en vain les a cherché,
Ce dont l’ai bien récompensé.
Un bon écrit, bien patenté,
Va, par ma seule autorité,
Dont je déploie la plénitude
(Jugez si le coup sera rude),
Vous anéantir de tous points
Des délits qui n’existent point.
Le Français, un peu gaillard,
Pourrait rire avec indécence ;
Et, pour éviter les brocards,
J’impose un absolu silence.
Un ministre est embarrassé,
Quand il se trouve intéressé
Dans tous ces petits jeux de mots
Qui font rire aux dépens des sots5
.
D’autant plus que j’ai de l’humeur,
Je veux bouder mes procureurs ;
Ils n’auront point mes bonnes grâces,
Gardezvous de suivre leurs traces,
Car pour leur apprendre à parler,
Je vais les faire voyager.
De tout ceci bien informé,
Vous connaîtrez que la sagesse,
La douceur et la fermeté,
Présideront chez moi sans cesse.
Sans tant crier, tant remontrer,
Connaissant ma haute prudence,
Vous auriez dû, messieurs, compter
Un peu plus sur la Providence.
J’ai des grâces à vous rendre6
;
Vous m’avez très bien servi.
Des plaisants iront prétendre
Que, vous n’avez rien fait ici ;
Pour les forcer à se taire,
Dites-leur, en raccourci,
Que, presque en toute affaire,
Vous en agissez ainsi.
Laissez là cette procédure,
Car si l’on vous jugeait après,
Ce pourrait être chose dure,
D’anéantir… et point d’arrêts.
Vice-chancelier pour ce faire,
Qu’un édit soit expédié ;
Le reste ira se faire, faire,
Tout sera bientôt oublié.
- 1autre titre : Discours du roi au Parlement de Paris et au Conseil, travestis en vers au naturel. — Le Roi ayant fait accuser M. de la Chalotais, procureur général du Parlement de Bretagne, après l’avoir tenu pendant quinze mois dans le plus dur esclavage, lui avait fait faire son procès par des Commissaires, ce qui avait excité la réclamation de plusieurs Parlements, avait abandonné cette procédure et renvoyé l’affaire au Parlement établi en Bretagne, à la place de celui qui avait donné sa démission en 1765. Puis il avait cassé la procédure de ce Parlement pour, en évoquant l’affaire à lui, faire revivre la procédure des Commissaires et renvoyer le tout à juger au Conseil des parties, ce qui excita la plus vive réclamation du Parlement de Paris. L’affaire bien examinée dans le secret du cabinet, on ne voulut point qu’il intervînt de jugement et on exila les accusés. (M.) (R
- 2On avait accusé MM. de la Chalotais père et fils et MM. de la Gacherie, Montreuil et de la Colinière, conseillers à l’ancien Parlement de Bretagne, de lettres anonymes injurieuses aux ministres et d’avoir fomenté des troubles dans le Parlement et les états. (M.) (R)
- 3Le 22 décembre, le Roi, qui avait mandé à Versailles le premier président et deux présidents à mortier pour entendre sa réponse aux représentations à lui faites par le Parlement au sujet de l’affaire de Bretagne, leur fit lecture de cette réponse, ainsi conçue : « J’ai voulu connaître par le procès que j’ai fait instruire la source et les progrès des troubles qui s’étaient élevés dans ma province de Bretagne. Le compte qui vient de m’en être rendu m’a déterminé à ne donner aucune suite à toute cette procédure ; je ne veux pas trouver de coupables. Je vais faire expédier des lettres patentes de mon propre mouvement, pour éteindre par la plénitude de ma puissance tout délit et toute accusation à ce sujet. J’impose sur le tout le silence le plus absolu. Au surplus, je ne rendrai ni ma confiance ni mes bontés à mes procureurs généraux de mon Parlement de Bretagne que j’ai jugé à propos d’éloigner de cette province… etc. » (R)
- 4Maître des requêtes, qui fut procureur général de la commission et se compromit beaucoup dans cette affaire ; il y gagna l’intendance de Metz et le mépris universel. (M.) (R)
- 5M. de Laverdy avait été fort piqué de la parodie de la lettre qu’il avait écrite au duc d’Aiguillon. (M.) (R)
- 6Ceci est la parodie du discours adressé au Conseil. (R)
Raunié, VIII,69-73