La Disgrâce des sous-fermiers
La disgrâce des sous-fermiers1
Or écoutez, petits et grands,
Gens de rapine et partisans,
L’aventure la plus sinistre
Que jamais ait causée ministre,
A l’encontre des sous-fermiers
Qui sont réduits sur le fumier.
Sans pitié, sans humanité,
Vous avez assez maltraité
Et l’orphelin et l’orpheline ;
Le paysan et sa voisine,
Cabaretiers et laboureurs,
Comme des insignes voleurs.
Pour avoir su trop haut monter,
Il faut maintenant décompter
De vos airs rogues et barbares,
Dont vous traitiez comme Tartares
Vos pauvres diables de commis
Et ceux qui vous étaient soumis.
Bouffis d’orgueil en arrivant,
Au tapis vert insolemment
Vous criiez comme des anguilles ;
Pour des misères, des vétilles,
Vous dégottiez, révoquiez net
Pour un rien le meilleur sujet ;
Un sujet qui pendant dix ans
Avait travaillé fortement,
Avait bien garni vos offices
De jambons, pâtes et saucisses,
De gibiers de toutes saisons,
Dont vous nourrissiez vos maisons.
Qui ne faisait holocauster
Était bien sûr de n’avancer.
Pour le combler de vos largesses,
Vous l’amusiez de vos promesses ;
Le jouant dans l’occasion,
Vous le traitiez comme un oison.
Pour vos amis et vos parents,
Ils étaient tous assez contents.
Remplissant les premières places,
Quoique vains, ignorants, tenaces,
Faisant sentir avec aigreur
De leur crédit la pesanteur.
Vous qu’un carrosse de Martin
N’osait promener le matin,
Demi-duchesses, sous-fermières.
Qui jadis étiez couturières ;
A pied, sans laquais ni cocher,
On vous verra chez le boucher.
Plus d’afffiquets et de pompons,
Plus de cadenette au chignon,
Plus de rubans, de prétentaille ;
Nous userons de représaille
En vous laissant voir seulement
La femme du simple artisan.
Or prions le doux Rédempteur
De nous sauver de la fureur
De ces misérables corsaires,
Dont les bedaines mercenaires,
Pour seul et meilleur aliment,
Ne vivaient que de notre sang.
- 1 - Au mois de septembre, lors du renouvellement du bail des fermes générales, M. de Sechelles, contrôleur général des finances, augmenta de vingt le nombre des fermiers généraux, qui se trouva ainsi porté à soixante, et supprima les sous-fermiers. « Ce changement, constate Barbier, met un peu de consternation dans Paris. Il y a plus de deux cents sous-fermiers dans les aides et dans les domaines. Ils ont des associés dans leur intérêt, parents ou amis en secret, qui ne paraissent pas, en sorte que cela intéresse, dit-on, quatre cents familles qui n’auront plus ni gain ni profit. Ces financiers dans Paris faisaient beaucoup de dépenses ; c’était l’état brillant. Il faut que tout cela se retranche ou se retire en province » (R)
Raunié, VII,251-54 - Clairambault, F.Fr.12721, p.57-58 - F.Fr.10479, f°439 - Arsenal 4844, f°257-258