L'Esprit des lois
L’Esprit des lois1
Vous connaissez l'Esprit des lois,
Ce n'est qu'un pénible assemblage
De républiques et de rois ;
On y voit les mœurs de chaque âge,
Et des peuples de tous les lieux,
Le civilisé, le sauvage,
Leurs législateurs et leurs dieux.
Sur tous ces objets d'importance,
L'auteur nous laisse apercevoir
Non une simple tolérance,
Mais une froide indifférence ;
Tout lui paraît fruit du terroir2
.
Le sol est la cause première
De nos vices, de nos vertus :
Néron, sous un autre hémisphère,
Aurait peut-être été Titus ;
L'esprit n'est qu'un second mobile,
Et notre raison versatile
Est dépendante des climats.
Féroce au pays des frimas,
Voluptueuse dans l'Asie,
Le même ressort ici-bas
Détermine la fantaisie.
Ainsi, sans un grand appareil,
On peut, dans le siècle où nous sommes,
Par les seuls degrés du soleil
Calculer la valeur des hommes.
Sur ce point seul, législateurs,
Établissez bien vos maximes ;
Dirigez les lois et les moeurs,
Distinguez les vertus des crimes ;
Sur l'air réglez vos sentiments :
Un pays devient despotique,
Républicain ou monarchique
Par la force des éléments.
La liberté n'est qu'un vain titre,
Le culte un pur consentement,
Et le climat seul est l'arbitre
Des dieux et du gouvernement.
Ce n'est point un esprit critique
Qui me sert ici d'Apollon :
Voilà toute la politique
De notre moderne Solon.
- 1 - L’Esprit des lois, dont la première édition avait paru à Genève vers le milieu de l’année 1748, et que l’on réimprima vingt-deux fois en moins de deux ans, donna lieu à des jugements fort contradictoires. Collé rapporte dans son Journal l’opinion des critiques. « Voici ce qu’en disent les métaphysiciens et les gens qui ont un peu de philosophie dans la tête : ils prétendent que c’est un très mauvais ouvrage, sans ordre, sans liaison, sans enchaînement d’idées, sans principes ; c’est, disent ils, le portefeuille d’un homme d’esprit et voilà tout. » On sait que Mme du Deffand disait de cet ouvrage « que ce n’était point l’esprit des lois, mais de l’esprit sur les lois. » Voltaire en fut, au contraire, un des plus vifs admirateurs : « Le genre humain avait perdu ses titres, écrivait il, Montesquieu les a retrouvés et les lui a rendus. » Le marquis d’Argenson, non moins équitable, qualifiait l’Esprit des lois de « Livre excellent et qui vivra beaucoup. » (R)
- 2La théorie des climats, qui a été reprise et éloquemment soutenue de nos jours par de brillants esprits, parut inacceptable au XVIIIe siècle, ainsi que le prouvent les réflexions du marquis d’Argenson, d’ailleurs assez hardi dans ses idées. « Sur son entêtement par rapport au climat, écrit‑il, Montesquieu ne pourra se justifier. C’est folie de croire que le climat influe sur les mœurs des hommes. Le chaud et le froid que nous éprouvons dans les diverses saisons de l’année ne changent rien à nos caractères. » (R)
Clairambault, F.Fr.12720, p.73-74 - F.Fr.10478, f°422r-423r - F.Fr.15153, p.333-36 - Raunié, VII,159-61 -BHVP, MS 557 - BHVP, MS 661, f°16r-17r - Toulouse BM, MS 861, p.243-45 - CLG Raynal, ed. Tourneux, I,293-94
Par Bonneval selon Raynal.