La Prise de Berg-op-Zoom
La prise de Berg-op-Zoom1
Quel est done ce héros formidable2
Dont la victoire suit les pas ?
Armé d'un foudre redoutable,
Il porte partout le trépas ;
Plus fier que le dieu des batailles,
Il va renverser ces murailles,
Écueil de tant d'autres guerriers ;
C'est dans les actions périlleuses
Qu'on voit les âmes généreuses
Se plaire à cueillir les lauriers.
Attaque cette forte place
Qui veut résister à ton Roi ;
Inspire ta guerrière audace
A ceux qui combattent sous toi ;
Parmi les horreurs du carnage,
Auront-ils assez de courage
Pour braver les horreurs du sort ?
Ne crains rien, tu leur sers de guide :
Pour un général intrépide
Le soldat méprise la mort.
De Neptune l'humide empire
Vomit des flots de combattants ;
Ta valeur va bientôt réduire
Ces soldats toujours renaissants3
.
Telle fut cette hydre fatale
Que l'amant de la belle Omphale
Fit enfin périr sous ses coups ;
Hercule envierait ta victoire,
Si d'un mortel couvert de gloire
Un dieu pouvait être jaloux.
En vain la Grèce conjurée
Inonde les champs Phrygiens ;
Jamais sans le fils de Pélée,
On n'eût pu vaincre les Troyens.
Dans ces murs qu'on réduit en poudre,
Le Batave affronte la foudre,
Sans crainte d'un revers fatal ;
Mais aux héros tout est facile ;
Pour Troie il fallait un Achille,
Pour Berg-op-Zoom un Lowendal.
Du suprême honneur militaire
Bientôt tu seras revêtu ;
On doit cet illustre salaire
A ton héroïque vertu ;
De Louis la main bienfaisante
Va sur ta valeur triomphante
Prodiguer ses dons précieux.
Les bienfaits sont les seules marques
Par où le plus grand des monarques
Peut se rendre semblable aux dieux.
Si le ciel ne t'a pas fait naître
Sous nos délicieux climats,
Les vertus d'un auguste maître
Te fixeront dans ses États4
.
Nourri dans le sein de la France,
Tu sais accorder la vaillance
Avee l'urbanité des mœurs ;
Le lieu qui nous donne la vie
N'est pas toujours notre patrie ;
C'est celui qui forme nos coeurs.
Fiers Romains, destructeurs du monde,
Ne nous vantez plus vos Césars ;
La France, en miracles féconde,
Vient d'effacer leurs étendards ;
Louis, on voit sous tes auspices
Les Lowendals et les Maurices
Se signaler par leurs exploits ;
N'attends rien d'eux que de sublime ;
C'est ta valeur qui les anime :
On doit les héros aux grands rois.
- 1Berg op-Zoom fut prise d’assaut, le 16 septembre 1747, après soixante deux jours de tranchée ouverte. Les ennemis dans cette affaire perdirent plus de quatre mille hommes, tant tués que prisonniers et blessés ; tandis que les Français n’eurent seulement que six officiers et cent trente sept soldats tués, trente sept officiers et deux cent soixante soldats blessés. (M.) (R)
- 2Alrich‑Frédéric‑Woldemar, comte de Lowendal, maréchal de France et membre honoraire de l’Académie des sciences (1700‑1755). « Ce général, dit Voltaire, né en Danemark, avait servi l’empire de Russie. Il s’était signalé aux assauts d’Oczakof quand les Russes forcèrent les janissaires dans cette ville. Il parlait presque toutes les langues de l’Europe, connaissait toutes les cours, leur génie, celui des peuples, leur manière de combattre ; et il avait enfin donné la préférence à la France, où l’amitié du maréchal de Saxe le fit recevoir en qualité de lieutenant général. » Il servit avec distinction dans les campagnes de Flandre de 1744, 1745 et 1747, et la prise de Berg‑op‑Zoom fut son plus brillant fait d’armes. (R)
- 3« Berg‑op‑Zoom, surnommée la Pucelle, avait bravé le génie de Spinola ; c’était une des places les plus inexpugnables des Pays‑Bas par ses fortifications, par les marais qui l’environnent et qui empêchent de l’investir en entier. Ce qui devait inspirer, en cette occasion, encore plus de sécurité à ses habitants, c’est qu’elle avait l’avantage d être continuellement rafraîchie de troupes. Elle avait une communication qu’on ne pouvait couper avec l’armée du comte de Schwartzemberg. La valeur seule devait triompher de cette ville. » (Vie privée de Louis XV.) (R)
- 4« Le roi, au moment où il apprit la prise de Berg-op‑Zoom, remarqua comme humiliant pour la France que ses deux plus grands capitaines fussent étrangers, qu’elle n’en produisît plus de tels qu’autrefois. C’est qu’aujourd’hui, répondit le prince de Conti présent, nos femmes ont affaire à leurs laquais. Mme de Lowendal étant venue chez le monarque, il la reçut comme la femme d’un héros, et lui dit : Madame, tout le monde gagnera par cette conquête. Je donne à votre mari le bâton de maréchal et j’espère délivrer mes sujets du fléau de la guerre. » (Vie privée de Louis XV.) (R)
Raunié, VII,102-06 - Clairambault, F.Fr.12717, p.147-50 - Maurepas, F.Fr.12650, p.299-302 - F.Fr.13658, p.297-300 - BHVP, MS 703, f°245r-246v