Épitaphe du duc de Bourbon
Épitaphe du duc de Bourbon1
Ci-gît un second Polyphème,
Au premier ressemblant si bien,
Qu’on eût dit que c’était lui-même,
Ne lui cédant en presque rien.
Il n’était de race moins bonne ;
Car quoique le peuple en bourdonne,
Il était le fils d’un Bourbon,
Comme l’autre fils d’Apollon.
Anthropophages l’un et l’autre,
Tous deux d’air féroce et félon.
Le premier n’eut qu’un œil ; le nôtre
En ayant deux, n’en eut qu’un bon.
Chacun d’eux vit sa Galathée
Par un jeune Acis coquetée.
Le premier sut bien s’en venger,
Celui-ci ne fit qu’enrager.
Las ! pouvait-il faire autre chose !
Or prions qu’en paix il repose
Bourbon, sous ce marbre gisant,
Fut un prince riche et puissant,
Personne en France ne l’ignore.
Laissons ce portrait trop diffus,
Bourbon fut borgne, il ne l’est plus.
Il fut cocu. L’est-il encore ?
- 1 - Monsieur le Duc mourut le 27 janvier 1740 au château de Chantilly, âgé seulement de quarante-huit ans. « La cause de sa mort, dit le marquis d’Argenson, est un refroidissement. Il est mort de froid ; on n’a jamais pu le réchauffer. Il était allé à une battue de lapins, vêtu à la Iégère, et presque entièrement de toile, comme c’était son usage à la chasse. Il se tint longtemps sur une échelle à tirer du gibier. Il revint gelé, tout grelottant, ce qui lui donnait la colique. En arrivant au château de Chantilly, il ne put jamais se réchauffer, quelque feu que l’on fît. Son médecin lui dit que cela était sérieux et très sérieux, et qu’il eût à se mettre au lit ; mais lui voulut absolument souper, et dit qu’il avait faim et que le souper le guérirait. Sa maladie devint très sérieuse pendant la nuit. » (R)
Raunié, VI,270-71 - Clairambault, F.Fr.12709, p.11-12 - Maurepas, F.Fr.12635, p.246 - Stromates, I,536-37