Les Fêtes de la ville de Paris
Les fêtes de la ville de Paris1
Appui du temple de Mémoire,
Beaux-arts, chers enfants de la paix,
Turgot2
assure votre gloire,
Assurez la sienne à jamais.
Consacrez nos pompeux spectacles,
Et du récit de leurs miracles
Étonnez la postérité ;
Que le merveilleux de la Fable
Dans ce qu’il a de moins croyable
Serve l’exacte vérité.
La nuit, sous d’épaisses ténèbres
Cachait deux palais à nos yeux,
Pareils à ces temples célèbres
Que Rome élevait à ses dieux,
Quand les Hyades envieuses
Avec leurs urnes pluvieuses
S’approchent dans l’obscurité ;
Tout redoute leur influence ;
Louis paraît, et sa présence
Ramène la sérénité.
Du fond de son lit pacifique
Le dieu de la Seine à l’instant
Fait de la fête magnifique
Sortir le prélude éclatant.
Mille barques illuminées
De ses naïades étonnées
Éclairent le profond séjour,
Superbes et galants phosphores
Qui figurent autant d’aurores,
Messagères du plus beau jour.
Le premier temple qu’on découvre
Se change en palais de Vulcain,
Sa forge épouvantable s’ouvre,
Le marteau résonne soudain
L’éclair brille, la nue éclate,
La flamme vole et se dilate,
On voit la foudre sans horreur
C’est l’art ingénieux qui tonne,
Qui, maître des feux de Bellone,
Se fait un jeu de leur fureur.
La Nymphe, d’abord égayée
Et qui sortait de ses roseaux,
Bientôt se replonge effrayée
Dans le paisible sein des eaux.
Mais la flamme agile et rebelle
Plonge, revient, rentre avec elle,
Serpente et voltige à l’entour ;
Alors le Triton qu’elle embrasse
Doit à la frayeur une grâce
Qu’il espère en vain de l’amour.
Cependant un Vésuve énorme
Vomit un lumineux torrent,
Qui se divise et se transforme
En plus d’un objet différent,
En nappes, chiffres, jets, colonnes,
Gerbes, girandoles, couronnes ;
Il tombe, il s’élève, s’accroît,
Et partout sa flamme croisée
Compose une voûte embrasée
Qui se dissipe et reparaît.
Grand Roi ! quelle magnificence,
Couronnant tes heureux projets,
Fait briller le goût de la France
Et le zèle de tes sujets.
Au gré d’une savante audace
La nature change de face.
Étoiles et soleils nouveaux
Par mille rayons qui renaissent
Charment les regards et paraissent
Transporter les cieux sur les eaux.
Mais quel autre prodige encore3
Succède au prodige éclipsé,
Quel est ce nouveau météore
Qui sous nos yeux reste fixé ?
Sa lumière que l’on contemple
Nous trace dans les airs un temple,
Séjour des Grâces et des Ris4
,
Plus bas, cent couleurs différentes
Peignent sur les ondes ardentes
La riante écharpe d’Iris.
dans sa fougue mesurée,
Le Dieu des Iyriques concerts
Élève jusqu’à l’Empyrée
Les sons dont il frappe les airs ;
De la France et de l’Ibérie
Il chante la tige fleurie,
Qui de l’hymen orne le front ;
Il chante la paix et la guerre,
Qu’en sage arbitre de la terre
Louis tour à tour interrompt.
L’âme héroïque et vertueuse
Qu’il reçut… mais c’est trop oser ;
A ton ardeur impétueuse,
Muse, il est temps de s’opposer.
Mesurant un peu mieux ta force,
Résiste à la flatteuse amorce
Que t’offre un fertile début,
Un cirque a de justes limites,
La gloire est aux bornes prescrites
Et la honte au delà du but.
O toi, dont les soins et les veilles
Ont préparé ces nobles jeux,
De qui tant d’utiles merveilles
Rendaient déjà le nom fameux,
Turgot, toi qui dans notre histoire
Seras le modèle et la gloire
De la suprême édilité,
Vois nos hommages unanimes,
Et d’avance, en lisant ces rimes,
Jouis de l’immortalité.
- 1Lors du mariage de Madame première, fille aînée de Louis XV, avec l’infant d’Espagne, don Philippe. « Cette union fut célébrée avec tout l’éclat et la pompe possibles ; les fêtes les plus galantes, les spectacles les plus magnifiques, les arcs de triomphe ornés de devises et d’inscriptions, les festins les plus somptueux se succédèrent tour à tour, ils firent pendant plusieurs jours l’amusement de la cour et de la ville, ainsi que l’admiration des étrangers accourus de toutes parts. Le feu d’artifice surtout exécuté dans le bassin de la Seine entre le Pont‑Neuf et le Pont‑Royal, produisit, par le local, un coup d’œil dont on se souvient encore, et dont il n’y a point eu d’exemple depuis. Il rendra mémorable à jamais pour ces sortes de réjouissances le nom de Turgot, dont la prévôté fut signalée d’ailleurs par des monuments plus utiles et plus durables. » (Vie privée de Louis XV.) (R)
- 2Michel‑Étienne Turgot était président aux enquêtes du Parlement de Paris, lorsqu’il fut nommé prévôt des marchands, en 1729. Il se signala dans ces fonctions par son zèle et son intelligente activité ; c’est à lui que l’on doit la construction de l’immense égout qui embrasse toute la rive droite de la Seine. A sa sortie de charge, en 1741, il fut nommé président au Grand‑Conseil. (R)
- 3L’illumination du Pont‑Neuf. (M.) (R)
- 4 La salle de musique. (M.) (R)
Raunié, VI,253-57 - F.Fr.13662, f°190r-192r - F.Fr.15140, p.279-85 (moins le dernier couplet) - F.Fr.15149, p.346-54