Le Siècle d’or
Le siècle d’or1
Trompettes et tambours, annoncez à la terre,
Non la brillante paix (c’est encore un mystère),
Mais du grand cardinal le signe de santé
Qu’à cent prélats divers son valet a vanté.
Avec les attributs d’un jeune mousquetaire,
Qu’il est beau de porter un front nonagénaire !
Les jours d’un tel hiver ont l’éclat du printemps,
Et sitôt que l’on b… on a moins de trente ans2
.
Fleury vient d’élever une ferme colonne
Qui soutient à jamais l’éclat de la couronne ;
Ne cessons d’admirer ce prodige nouveau,
Digne des grands projets qu’enfante son cerveau ;
Des feux de la jeunesse une seule étincelle
Répand sur l’univers une face nouvelle.
Il soumettra les cœurs à l’Unigenitus,
Monument éternel de ses rares vertus.
Le Corse, ouvrant les yeux à sa bonté si rare,
S’offrira de lui-même aux fers qu’on lui prépare ;
Nos alliés, contents de cent et cent traités,
Commencés si souvent, jamais exécutés,
Publieront à jamais la rigueur et le zèle
De celui qui toujours fut sincère et fidèle ;
Par ses soins paternels, du plus tendre lien
On verra réunis le Turc et le chrétien ;
Père des nations, arbitre de la terre,
Il donne des leçons du parfait ministère ;
Sous ses lois les mortels, au gré de leurs désirs,
Verront couler leurs jours dans le sein des plaisirs.
Illustres magistrats dont la juste balance
Honore les décrets du Sénat de la France,
Défenseurs de l’Église et de ses libertés,
Contre ses agresseurs vous serez écoutés.
Parlez sans vous contraindre : à toute remontrance,
Le trône s’ouvrira sans imposer silence.
Vous, fille de nos rois, docte Université,
Ne craignez plus les coups de la Société3
Encor teinte du sang de votre auguste père ;
Peuples, qui gémissez sous le poids des impôts,
Accablés de travail sans goûter le repos,
Vous qu’a forcés la faim de brouter la fougère,
D’abandonner vos toits pour la terre étrangère,
Votre sort est changé ; l’inflexible traitant
De votre superflu se montrera content.
Les jeux et les plaisirs, conduits par l’abondance,
De ces lieux fortunés banniront l’indigence.
Orry, sans vous vexer remplissant le trésor,
Vous apprendra qu’en France on voit le siècle d’or.
Mais pourquoi tant vanter ce siècle délectable,
Pourquoi nous réjouir d’un bien si peu durable ?
L’on voit hors de saison des arbres refleurir ;
C’est le dernier effort d’un bois qui va périr.
- 1Autre titre: Le signe de santé ou le Siècle d'or (Arsenal 3133) - Le Siècle d'or. A l'occasion de l'assemblée de l'université tenue pour obliger les professeurs à signer la Constitution, et où M. Gilbert, professeur de l'éloquence au collège Mazarin, fit un discours qui fut cause de son exil.. (Lille MS 66)
- 2« On a fait une plaisanterie, que le cardinal avait eu un moment d'… dont Barjac, son valet de chambre, avait été tout surpris ; ce qui a donné lieu à des vers sur son compte qui ne partent pas de ses amis. » (Journal de Barbier). (R)
- 3Les Jésuites.
Raunié, VI,249-51 - Clairambault, F.Fr.12708, p.365-66 -Maurepas, F.Fr.12635, p.191-93 - F.Fr.13662, f°182r-183v - F.Fr.15140, p.286-88 -F.Fr.15149, p.334-39 - NAF.9184, p.329 - Arsenal 3133, p.420-22 - MS 659, p.229-32 - Lille BM, MS, 66, p.421-25