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La Colombe et le corbeau

La colombe et le corbeau
On raconte que par le monde
Est un pays où des corbeaux
L’engeance cruelle et féconde
Insulte impunément au reste des oiseaux,
Que dans les accès de leur haine,
L’aigle même, leur souveraine,
Se voit parfois en butte aux traits
De ces redoutables sujets.
C’est dans cette contrée indigne
Qu’une jeune colombe aussi blanche qu’un cygne,
D’un de ces oiseaux dangereux,
Fort âgé, mais plus cauteleux,
A ses avis trompeurs s’étant abandonnée,
Devint la proie infortunée,
Et de ses jeunes ans oubliant la candeur
Bientôt du vieil oiseau prit toute la noirceur.
La blancheur de votre plumage,
Ma fille, disait-il, est un signe certain
Que la faveur du ciel dans votre premier âge
Vous prépare un heureux destin.
Les rares qualités dont vous êtes comblée
Font voir à quel bonheur vous êtes appelée.
Voulez-vous cultiver ces beaux commencements,
Ayez soin de répondre à mes empressements.
Une colombe jeune et belle
A besoin d’un ami fidèle
Qui toujours l’encourage et borne ses désirs
Aux soins de modérer ses timides soupirs.
Gardez-vous d’écouter le funeste ramage
Des hôtes séduisants du plus prochain bocage :
Leurs accents dangereux dans votre jeune cœur
Jetteraient sûrement le poison de l’erreur.
Libre de tout souci, tranquille et solitaire,
Écoutez seulement la voix de votre père.
A sa tendre amitié, ma fille, livrez-vous ;
Vous l’aimez, il vous aime ; est-il rien de plus doux ? —
La colombe, à ces mots, simple autant que soumise,
De ce vieux papelart ignorant l’entreprise,
Sans contrainte à genoux découvre ses attraits ;
Elle s’expose à tous ses traits.
Mais bientôt, connaissant le mal qui la possède,
La colombe en gémit, en cherche le remède,
Tandis que le trompeur rit de ses vains efforts,
Et chasse adroitement sa honte et ses remords.
Cependant un ramier, ami de la colombe,
Qui voit bien qu’à regret la pauvrette succombe,
L’anime, l’encourage à quitter ce séjour
Où le corbeau rusé la traitait en vautour.
Quelle fut sa douleur, quand rendue à soi-même,
Rappelant du corbeau le cruel stratagème,
Ses noirs empressements, ses soins insidieux,
Sur son illusion elle jette les yeux ;
Qu’elle vit que de son plumage
La beauté, la blancheur n’étaient plus le partage !
Sa plainte aigrissant ses soupirs,
Vainement elle veut cacher ses déplaisirs ;
Les bois voisins en retentissent,
Les fidèles échos à leur tour en gémissent.
La Renommée instruit de ces forfaits nouveaux
L’aréopage des oiseaux ;
A l’instant leur zèle s’anime,
Et des dieux outragés demande la victime.
La colombe n’a pour appui
Que ses larmes et son ennui ;
Le corbeau plus rusé fait agir ses confrères,
De la faible vertu terribles adversaires,
Le crédit, la faveur, marchent devant leurs pas.
La colombe se plaint, on ne l’écoute pas.
Les oiseaux assemblés l’accusent de folie,
Sa plainte n’est que calomnie ;
Et Thémis, sur ses yeux appuyant son bandeau,
Voit la colombe noire et blanchit le corbeau.
Je parle à vous, sexe débile,
Qui cherchez les sentiers que montre l’Évangile ;
Au choix d’un conducteur réfléchissez beaucoup,
Sous la peau de l’agneau souvent l’on trouve un loup.

 

Numéro
$0738


Année
1731




Références

Raunié, V,276-79 - Clairambault, F.Fr.12701, p.353-56 - Maurepas, F.Fr.12632, p.249-52 - F.Fr.12797, f°30-31 - F.Fr.12800, p.392-95 - F.Fr.15145, p.21-27 - F.Fr.15234, f°132-133 - F.Fr.15243, f°103-104 - F. Fr. 23859, f°18r-19r - Arsenal 2975, p.139-43 - Arsenal 2962, p.511-14 - BHVP, MS 602, f°170r-171r - Stromates, I, 86-89 - Besançon BM, MS 561, p.125-27 - Lille 69, p. 232-36 - Lyon BM, Palais des Arts, MS 51/2, f°120r-121r - Lyon BM, Palais des Arts 54, f° 6-8 - Turin, p.14-18 - Glaneur historique, 5 juillet 1731